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T.A.M. : Les arts d’Afrique seront donc essentiellement
abordés au musée du quai Branly-Jacques
Chirac.
P. P. : Absolument, et ils y auront une place de
choix car le thème de cette première exposition
est bien le rapport de Fénéon aux arts nègres,
pour reprendre le terme de l’époque. Le parcours
démarre sur une présentation du personnage dans
ses multiples facettes à partir d’un portrait peint
par Maximilien Luce (fig. 1). La deuxième partie
porte sur l’émergence de l’intérêt de Fénéon
pour les arts d’Afrique auquel vont certainement
contribuer ses contacts avec des personnalités
comme le marchand Paul Guillaume, ou encore
son amie Lucie Cousturier : une femme fascinante,
élève de Signac, anarchiste, engagée auprès des
tirailleurs sénégalais du camp de Fréjus auxquels
elle apprend à lire (fig. 6) et à écrire, et qu’elle fait
dessiner… Nous proposons également au visiteur
de découvrir dans cette partie la force de l’engagement
de Fénéon dans la promotion de ses arts
avec notamment la parution de nombreux articles
dans le Bulletin de la vie artistique, qu’il publie à
la galerie Bernheim-Jeune entre 1920 et 1926.
Le troisième volet de l’exposition est consacré
à l’activité de collectionneur de Fénéon. De façon
tout à fait étonnante pour l’époque, ce dernier
finit ses jours avec plus de quatre cent quarante
pièces d’art primitif, essentiellement des objets
africains mais aussi quelques pièces océaniennes
(fig. 2) et américaines, comme en témoigne le catalogue
de la vente qui aura lieu à l’Hôtel Drouot
les 11 et 13 juin 1947. Nos recherches nous ont
permis d’identifier environ cent cinquante de ces
pièces et une centaine d’entre elles figurera dans
l’exposition. Ce nombre reste faible par rapport
à l’étendue de la collection, mais cela a été un
grand défi de les retrouver car il existe très peu
d’informations sur la collection de Fénéon. Cela
peut sembler paradoxal car non seulement il était
un auteur prolixe et un acteur essentiel de la scène
artistique et connu de tous, mais on sait également
qu’il tenait des cahiers où il notait méthodiquement
ses visites aux ateliers d’artistes, ainsi que les
descriptions des toiles de ses contemporains et des
pièces africaines qui entraient dans sa collection.
Et pourtant rien n’a traversé le temps ! Fénéon
ne voyait aucun intérêt à se mettre en avant : il
a cultivé la plus grande discrétion de son vivant
et, à la fin, il a orchestré sa propre disparition en
dispersant ses archives et ses collections, une première
fois lors d’une vente aux enchères en 1941,
puis en 1947.
T.A.M. : Sait-on au moins quand son aventure de
collectionneur est née ? Auprès de qui il achetait ?
I. C. : Pas avec exactitude malheureusement. La
première date avérée est 1923. Cette année-là
Fénéon prête un ensemble d’étriers de poulies de
métier à tisser d’Afrique occidentale pour une
exposition au musée des Arts décoratifs de Paris.
Ces oeuvres sont mentionnées dans le catalogue
accompagnant l’événement. Cependant, par
l’ancrage de Fénéon dans la scène artistique parisienne
d’avant-garde, il serait tout à fait possible
d’imaginer qu’il ait commencé à acheter des objets
africains bien avant…
P. P. : Absolument. Plusieurs témoignages s’accordent
pour revendiquer Fénéon comme l’un
des tous premiers collectionneurs d’objets africains
comme formes d’art, et non pas comme des
documents ethnographiques. L’un d’entre eux
est Jean Laude, qui, dans son livre de 1968 La
peinture française et « l’art nègre » (1905-1914),
avance 1904 comme l’année du début de la col-
FIG. 6 (À DROITE) :
Lucie Cousturier, La
lecture.
Aquarelle sur papier.
Collection particulière.
© J. C. Louiset.
FIG. 7 (CI-DESSOUS) :
Étrier de poulie de
métier à tisser. Guro,
Côte d’Ivoire.
XIXe siècle.
Bois. 23 x 6 x 8 cm.
Ex-coll. F. Fénéon ,no 163 ;
vente F. Fénéon 1947c, no
51 ; acquis par Louis Broder,
éditeur parisien, 1947.
Musée du quai Branly -
Jacques Chirac, Paris, don
Florence Marinot,
inv. 73.1975.1.1.
© musée du quai Branly -
Jacques Chirac, Paris.