HOMMAGES
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après cinquante-cinq années de mariage, l’épouse de Joe décéda,
le laissant démuni mais philosophe. « La seule chose qui compte
vraiment, dira-t-il, est que nous nous en sommes bien sortis ».
Il consacra ses dernières années à organiser d’anciens pilons et
silex dans des plateaux et des boîtes, à trier ses bronzes miniatures
tant aimés et à créer des albums pour les dessins et gravures
de Margaret des années 1950. Il recevait fréquemment des visites
de marchands et collectionneurs africains, européens et américains,
IL Y A UNE PENSÉE D’AGNES MARTIN qui s’applique on
ne peut mieux à toi Alain. Elle dit : « Beauty is the mystery of
life. It is not just in the eye. It is in the mind. It is our positive
response to life. »
Nous parlons au présent car pour chacun d’entre nous tu
l’es, tendre Alain. Tu l’es dans nos coeurs comme peu d’êtres le
sont et tu y resteras. Qui d’autre que toi peut se targuer d’être
aimé de tous, estimé par tous et ce n’est point faute de caractère.
Ta sensibilité, tes connaissances, ta générosité et ta probité
faisaient de toi un être hors du commun.
En arts premiers tu connaissais non seulement les arts
de l’Afrique centrale comme peu, mais également ceux de
l’Afrique du Sud, n’hésitant jamais à partager tes connaissances
avec tes confrères. Tu étais un des premiers marchands
belges à parcourir ce pays le plus méridional du continent pour
nous ramener de superbes poteries zulu, des objets usuels ou
de parade en bois, des parures en perles de différents peuples.
Tu avais d’ailleurs le soin de noter pour chaque objet le lieu et
la date de collecte, ainsi que le nom de la potière qui avait fait
tel ou tel récipient, si au moins tes interlocuteurs sur le terrain
le savaient. À plusieurs reprises tu y as voyagé, la plupart du
temps accompagné d’un confrère apprenti. Tu connaissais bien
l’Afrique du Sud et ses peuples, et tu les aimais.
Les nombreux objets « importants » que tu as eus et qui
se trouvent actuellement dans des collections de renom ne
t’ont nullement empêché d’apprécier un panneau de maison
rwandaise, un torque fang ou tout bel objet du quotidien. Au
contraire, tu t’es inscrit dans notre lignée, amateurs de petits
objets fragiles et raffi nés, et celle d’Annie Jernander-De Vriese
que tu appréciais énormément. Tu la considérais comme ta
guide depuis tes premiers pas dans cet univers fabuleux. Ta
formation artistique et ta patience d’archéologue amateur se
refl étaient dans les trésors que tu as pu rassembler. Ta bibliothèque
et ta documentation te nourrissaient et te faisaient rêver
d’horizons divers.
Parmi tes activités d’organisateur inspiré et intellectuel, tu
as eu l’idée de monter l’exposition sur l’art mangbetu dans la
galerie de la Kredietbank en 1992 avec le professeur Herman
Burssens. Et nous t’en remercions. À Ostende dans la galerie
Robert & Partners en 1994, tu as exposé les oeuvres peintes
des artistes ndebele Franzina Ndimande et de sa fi lle Angelina,
toutes les deux présentes à l’inauguration. Tu nous as donné
ton aval moral pour l’organisation de l’exposition sur les Lega
qui s’est tenue en 2002 à la galerie de la KBC Bank. Les arts
décoratifs et de prestige du Rwanda et du Burundi étaient à
l’honneur dans un grand article que tu as coécrit pour un numéro
du Tribal Art Magazine de 2004. Tu aimais lire, écrire
et partager. Il est regrettable que nous n’ayons pas eu plus de
temps pour collaborer.
Cher Alain, des décennies durant, nous avons eu le privilège
de te connaître et t’apprécier. Tu avais le sérieux, la poésie et la
gentillesse. Merci pour tant de bonheur.
Colette Ghysels et Bart Suys
Alain Guisson 1951–2019
de professeurs d’histoire de l’art et conservateurs, de vieux
amis et d’anciens employés. Il se plaisait à dire que sa collection
était sa plus grande réalisation et qu’elle le maintenait en vie.
Le 13 mars 2019, il rendit son dernier souffl e. À son chevet se
trouvaient un diptyque éthiopien du XVIIIe siècle, une tête en
terre cuite djenné et une curieuse pierre saharienne, formée par la
nature, altérée par l’histoire, idiosyncrasique, fabuleuse.
Amyas Naegele
Alain Guisson.
Avec l’aimable autorisation
d’Alan Marcuson.