HOMMAGES
Joseph Knopfelmacher 1923–2019
SI UNE HISTOIRE COMPLÈTE de l’art africain en Amérique
devait être écrite, une place de choix serait réservée à Joseph Knopfl
emacher, marchand, collectionneur et fondateur de l’enseigne
légendaire Craft Caravan à SoHo, à New York. Joe naquit le 29
septembre 1923 à Debrecen, en Hongrie. Juive, sa famille dut fuir
pour survivre et s’installa à New York. Une note dans son annuaire
du lycée de 1941 indique où trouver « Knopf » : « Dans une galerie
d’art. » Il se décrivait déjà comme un amoureux de l’art. Comment
sais-je cela ? Parce que vers 1993, relativement tôt dans ma carrière
de fabricant de socles, un petit homme barbu apparut à ma porte,
cherchant un socle pour une fascinante sculpture en fer avec une
chaîne autour du cou. « Puis-je vous demander si vous avez un lien
avec Thomas Naegele qui est allé à la High School of Industrial
Arts ? » J’en avais un en effet, et plus même, mon père étant à ce
moment-là huit étages au-dessus de mon atelier en sous-sol. Cinq
minutes plus tard, les deux hommes, anciens camarades de classe,
se revoyaient pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle.
Au début des années 1960, Joe n’avait pas trouvé sa vocation.
À l’époque, de modestes entrepôts apparaissaient dans la ville et
diffusaient des objets en provenance d’Amérique latine. Joe pensait
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qu’il pourrait tenter sa chance dans une entreprise similaire
mais était réticent à l’idée de concurrencer les magasins existants.
Une de ses connaissances suggéra l’Éthiopie ou l’Afrique de l’Ouest
comme source alternative non exploitée de paniers et d’autres objets.
Joe partit pour un premier voyage et fut bientôt un importateur
d’artisanat africain. En 1965, il ouvrit un magasin dans un
quartier de Manhattan alors peu prisé, SoHo, et baptisa son affaire
Craft Caravan. Le magasin déménagea par la suite dans la rue
Greene, où son loyer initial s’élevait à cinquante dollars par mois.
Les partenaires commerciaux de Joe en Afrique le poussaient
sans cesse à acheter aussi des antiquités. Ces dernières étaient
souvent moins chères et beaucoup plus belles ; Joe commença
à se diversifi er. Le collectionneur Noble Endicott raconte qu’en
1972 il avait effectué l’un de ses premiers achats d’art africain
auprès de Joe : un fragment petit mais remarquable d’une maternité
yoruba à deux cent cinquante dollars. Joe était particulièrement
satisfait de la vente car ses collègues lui avaient dit qu’il
avait perdu la tête en achetant cette pièce pour quarante dollars.
Avec constance, Joe était en train de se constituer une clientèle
composée à la fois de collectionneurs et de marchands. SoHo était
devenu un quartier d’artistes et de pionniers urbains. Le sculpteur
Donald Judd vivait au coin de la rue et, tout comme les artistes
Dan Flavin et Cindy Sherman, était un client occasionnel. Toutes
Joseph Knopfelmacher. Avec l’aimable autorisation de Amyas Naegele.
les deux ou trois semaines, Joe préparait une minuscule valise et se
rendait à Accra, Adis et Maiduguri pour y acheter des appuis-tête,
des tissus, de petits bronzes et des enseignes de barbier. Il achetait
beaucoup et payait toujours à temps : le client parfait.
Parmi les contacts africains de Joe, on trouvait des Maliens qui
s’occupaient d’oeuvres archéologiques découvertes à l’époque. Joe
fut parmi les premiers à en importer aux États-Unis. Une grande
partie de ces pièces furent présentées dans une exposition, accompagnée
d’un catalogue, au début des années 1980. Durant ces
mêmes années, Joe constitua également des collections de sculptures
lobi et de pièces liturgiques éthiopiennes. Les meilleures de
ces pièces prirent place au Walters Museum de Baltimore.
Son épouse Margaret s’occupait de la comptabilité de Craft
Caravan et sa mère se chargeait du rayon bijoux. La journée se
terminait souvent avec Joe et Margaret fumant un bon cigare.
En 1985, Joe décida de prendre sa retraite, en vendant l’entreprise
à deux de ses employés, Ford Wheeler et à Ignacio Villareal.
Libéré du magasin, Joe continua à se rendre régulièrement
en Afrique et à vendre à titre privé. Il n’hésitait jamais à
demander des prix considérables ou à payer de grosses sommes
pour des objets importants. Joe effectua sa dernière visite sur
le continent (au Niger) alors qu’il avait quatre-vingts ans. À ce
moment-là, ses intérêts le portaient vers les terres cuites du Sahel
central : Bura, Katsina et Sokoto, ainsi que vers des outils néolithiques
et des roches du Sahara, toutes des pièces qui allaient
être déclarées ultérieurement illégales à l’importation. En 2010,