Le 26 août 1817, la frégate russe
Kamchatka quitta les eaux sombres de Kronstadt,
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près de Saint-Pétersbourg, pour entreprendre
un voyage autour du monde sous le commandement
du capitaine Vasily Golovnin. Le but de
cette expédition était de visiter l’Amérique russe,
les possessions coloniales de l’Empire russe dans
l’actuel Alaska, la Californie du Nord et Hawaï,
et d’explorer la partie nord de l’océan Pacifi que.
Semblable à de nombreux autres voyages que les
Russes effectuèrent dans le Pacifi que au début du
XIXe siècle, l’équipage du Kamchatka comprenait
divers experts scientifi ques ainsi qu’un artiste
aussi rapide de serf en explorateur de pays et de
peuples exotiques était unique. Oubliée pendant
deux siècles, l’histoire de cet artiste est à la fois fascinante
et tragique, « à la russe ».
Tikhanov naquit en 1789, on ignore où, et on
ne dispose de quasiment aucune information sur
sa vie avant le voyage sur le Kamchatka. Selon la
rumeur, il s’agirait d’un fi ls illégitime du prince
Golitsyn, ce qui pourrait expliquer le patronage
surprenant de ce dernier. En 1806, Golitsyn en
personne s’adressa à l’Académie impériale des
arts, demandant à son directeur d’y inscrire Tikhanov
en raison de ses talents d’artiste en herbe. La
Peuples indigènes du Pacifi que
et Mikhail Tikhanov, l’artiste russe oublié
demande fut acceptée à la condition que le prince
paie les frais de scolarité de son serf, ce qui était
une pratique pour le moins inhabituelle.
Le jeune artiste étudia neuf années durant la
peinture de sujets historiques à l’académie, genre
qui fl eurit vers 1812, refl étant l’humeur patriotique
qui prévalait en Russie après l’échec de l’invasion
menée par Napoléon. Ses oeuvres étaient reconnues
par l’académie et il reçut des médailles, qu’il n’eut
paradoxalement pas le droit d’accepter en raison
FIG. 2 (CI-DESSUS) : Carte
du voyage du Kamchatka
en partance de Saint-
Pétersbourg (Kronshtadt)
1817-1819.
Escales à Portsmith, Rio de Janeiro,
Callao (Lima), Petropavlosk, Kodiak,
Sitka, Fort Ross, Monterey, baie
Bodega, Hawaï, Guam, Manille,
Sainte Hélène, île de l’Ascension, île
de Copenhague. Cartographie : J. M.
Fogel Media, Inc.
PORTFOLIO
d’expédition. À cette époque, cette dernière position
avait une importance et un prestige particuliers,
car la réputation d’une expédition dépendait
beaucoup de la précision des données consignées
et de la fi nesse des observations effectuées tout au
long du voyage. Avant l’invention de la photographie,
croquis et dessins complétaient les carnets de
voyage, contribuant à l’accumulation de connaissances
sur les territoires lointains. En conséquence,
un tel travail était généralement confi é à un peintre
établi possédant de l’expérience et un statut social
stable. Ce n’était pourtant pas le cas de Mikhail
Tikhanov, choisi comme artiste de l’expédition du
Kamchatka. C’était un ancien serf libéré par son
maître, le prince Nikolai Golitsyn, quelques années
seulement avant le voyage. Pour une société aussi
rigide que la Russie impériale, une transformation
FIG. 1 (À GAUCHE) : Mikhail
Tikhanov, Un indien prit le
couvre-chef de Tikhonov et
s’enfuit près d’un magasin à
Manille, Manille, 1818.
Lithographie d’après une aquarelle
originale, extrait de Vasilli Golovnin
(Ella Lury Wiswell, trad.), 1979,
Around the World on the Kamchatka,
1817-1819, Honolulu : Hawaiian
Historical Society.
Par Evgenia Lavrinenko