UNE DÉESSE PAHOUINE
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FIG. 8 (CI-DESSOUS) :
Figure de gardien de
reliquaire. Fang, région de
Betsi. Gabon. XIXe siècle.
Bois, anneaux de cuivre, sangles de fer,
tissu, os. H. : 19,5 cm.
Collectée par Georgette Morell-
Graeser à Lambaréné entre 1908 et
1932 ; collection Camille et Emmy
Graeser, Zurich (1932-1983).
Musée Rietberg, Zurich, don de la
Fondation Camille et Emmy Graeser,
inv. RAF 819.
Ce qui a été omis de ce récit aventureux, c’est qu’un
nombre inconnu d’oeuvres d’art ont été rassemblées
en cours de route. Cependant, le frontispice du
volume 2 de L’Afrique équatoriale de de Compiègne
en 1875 montre six figures en bois acquises par
l’expédition (fig. 4). Le texte manque de détails, mais
la légende fournit des informations intéressantes.
On peut y lire « Idoles des Pahouins, des Gallois
et de Ivéia, (1) rapportées par MM. Marche et de
Compiègne. Dessiné d’après nature par M. Breton.
1) Les six premières sont partie de la collection de
M. Bouvier ; la déesse Pahouine, de droit, appartient
à M. Pilastre. » – « Idoles des Pahouins Fang,
Gallois Galoa et Ivéia Vili, rapportées par MM.
Marche et de Compiègne. Dessiné d’après nature7
par M. Breton. 1) Les six premiers font partie de
la collection de M. Bouvier ; la déesse Pahouine, à
droite, appartient à M. Pilastre. »
En tant que premier Européen à s’aventurer
dans la région, de Compiègne a le mérite d’avoir
réussi à le faire d’une manière aussi proche de
l’exactitude. La figure féminine en bas à droite,
qui fait finalement l’objet de cet article (fig. 1),
est bien fang, même s’il s’agit d’une interprétation
inhabituelle. Les autres figures proviennent de
la région de l’Ogooué et de celle du Bas-Congo.
Le trajet de l’expédition d’environ quatre cent
cinquante kilomètres en remontant le fleuve
Ogooué (puis en le redescendant), ainsi que
d’autres endroits où il s’est aventuré au cours de
ses deux années, l’auraient fait passer à travers ou
à proximité du territoire de tous ces peuples, c’est
donc ce à quoi nous nous attendions si de petits
objets faciles à transporter étaient acquis.
La diversité culturelle des sculptures suggère
qu’elles n’ont pas été collectées comme un
groupe mais plutôt individuellement dans
des lieux différents. Marche, qui, en plus
de participer à l’expédition ultérieure de
Brazza dans l’Ogooué, a également exploré
certaines parties des Philippines et des
Mariannes, est connu pour avoir accordé la
priorité à la collecte d’objets culturels ainsi
que de spécimens zoologiques. Il a donc
peut-être été à l’origine de ces acquisitions8.
Six des sculptures de la gravure de Breton
de 1875 réapparaissent, avec trois autres
personnages et deux bâtons, sur une gravure
d’après un dessin de D. Sellier dans le Voyage
au Gabon et sur le fleuve Ogooué. 1875-
1877 de Marche en 18789. Ces six figures sont
notées au moment de la publication comme faisant
partie de la collection de M. Bouvier.
Aimé Bouvier était un naturaliste du Muséum
d’histoire naturelle de Paris, qui finança
l’expédition10. On ne connaît pas l’emplacement
actuel de ces figures, bien que Louis Perrois ait
laissé entendre qu’au moins une partie d’entre elles
aient pu sortir de l’ombre11.
La figure en bas à droite de la gravure de
1875, la « princesse Pahouine », présente un
intérêt particulier. De Compiègne avait raison
dans son attribution pahouine et, contrairement
à ses compagnons, son histoire est assez bien
documentée12. En effet, elle est généralement
considérée comme le premier exemple de sculpture
fang à avoir été importé en Europe13. Une carte
de la région qui apparaît dans L’Afrique et ses
habitants d’Élisée Reclus en 1899 montre les Fang
comme une présence dominante au-dessus de la
rive droite de l’Ogooué (fig. 6). Une génération plus
tôt, lorsque Marche et de Compiègne remontèrent
le fleuve, les Fang étaient de relatifs nouveaux
venus dans la région et étendaient leur territoire
de manière agressive. Il n’est pas déraisonnable de
supposer que la sculpture ait pu être acquise près
du point final oriental de l’expédition autour du
fleuve Ivindo.
La figure est féminine et repose sur une
base cylindrique épaisse, dont une partie
est sculptée de manière à laisser apparaître
une jambe14. Bien que ce type de base
soit inhabituel, il n’est pas unique. Un
autre exemple de forme globalement
similaire, mais avec un style assez
différent et une épaisse patine, est
exposé au musée Rietberg de Zurich
(fig. 8). Sa base comporte plusieurs
étiquettes anciennes. Celui sur
l’avant indique simplement « Afrique
équatoriale française, Gabon », ce qui
ne nous dit pas grand-chose que nous
ne sachions déjà. Les deux autres sont
plus informatives. « Haut de poteau
d’ancêtre, statue de femme fang avec
la coiffe de fête, collection Charles
Ratton, n°173 » et « Ce beau fétiche
fang est le premier Fang reproduit. Il
figure dans le livre de Du Chaillu sur
le Gabon ».