DOSSIER
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FIG. 4 (CI-DESSOUS) :
Le chalet de C. W. Öberg à
Hysta.
Hometown Society Museum Stora
Skedvi.
Reproduction © Bart van Bussel.
Que s’est-il passé après sa mort ? Nevermann a-t-il
conservé les coupures de journaux par simple curiosité
ou pour une autre raison ? Nos recherches ont fi nalement
mis au jour le portrait fascinant d’un marin et
marchand actif dans les mers du Sud durant l’époque
coloniale allemande. Une grande partie de ces informations
est tirée des carnets de voyage d’Öberg,
qui lèvent le voile sur les activités quotidiennes et
les convictions personnelles d’un Européen résidant
dans la région du Pacifi que il y a plus d’un siècle.
LE MARIN CARL WILHEM ÖBERG
Le village de Stora Skedvi, mentionné dans l’une des
coupures de presse (fi g. 2), se situe au centre de la
Suède, au beau milieu des collines et des forêts peuplant
le vaste comté de Dalarna. Ce comté abrite également
le petit hameau de Hysta, où vivait la famille
d’Öberg et où celui-ci reviendra fi nir ses jours (fi g. 4).
Né en 1856, aîné d’une fratrie de sept enfants,
Carl Öberg fréquente l’école primaire et doit, lors de
son temps libre, aider son père dans les bois afi n de
subvenir aux besoins de sa famille. À l’âge de seize
ans, il gagne sa vie sur un bateau qui transporte du
minerai sur le lac Runn, et quatre ans plus tard, il
travaille à bord de plus gros navires qui naviguent
entre la Suède et le reste de l’Europe, chargés de
diverses marchandises1. Son solide bagage lui ouvre
des portes et ses voyages deviennent de plus en plus
longs et lointains. Il navigue vers l’Amérique du
Nord et du Sud, l’Afrique, l’Inde, l’Asie, l’Australie
et la Nouvelle-Zélande. Au cours de son existence,
Öberg a effectué sept circumnavigations, dix-sept
traversées du canal de Suez et connu des naufrages et
la famine en mer2.
L’expérience acquise par Öberg à bord de différents
navires fait de lui un marin aguerri et il semble qu’il
n’ait aucun mal à trouver de l’embauche. Comme
d’autres matelots, il se fait tatouer, en l’occurrence
sur les avant-bras et le dos de la main gauche3. Dès
Nevermann ne soit né qu’en 1902, il aurait pourtant
pu avoir de nombreuses occasions de faire la
connaissance, durant les années 1920 et 1930, d’anciens
colons allemands. Cela ne veut pas dire pour
autant que Nevermann et Öberg se connaissaient, ni
même qu’ils se soient jamais rencontrés, mais cela
explique sans doute pourquoi les articles en question
ont retenu son attention.
Le texte court des deux coupures de presse se révèle
assez fl atteur, vantant Öberg et son parcours, et
allant jusqu’à le qualifi er de « roi des mers du Sud ».
Les articles auraient donc pu être écrits par des collègues
d’Öberg ou par un agent colonial allemand
de sa connaissance. D’autres hypothèses mènent à
Öberg lui-même, à des proches, à des amis ou à des
habitants de sa ville natale. Qui que cela puisse être,
l’auteur voulait manifestement attirer l’attention sur
Öberg et lui rendre hommage. Une recherche rapide
d’informations complémentaires sur cet homme
dans les sources de l’époque n’a pratiquement rien
donné. Il nous a semblé peu banal qu’un individu
jusqu’ici inconnu fasse l’objet non pas d’un, mais de
deux articles de journaux, qui plus est en Allemagne
et non dans son pays natal, la Suède.
Le premier article semble saluer la retraite d’Öberg
en Suède et est illustré par une photo le montrant
devant trois grandes sculptures en bois provenant
de Nouvelle-Irlande. Une lance à la main, il porte
des vêtements particulièrement élégants, ce qui nous
donne l’impression d’être en présence d’un homme
exceptionnel (fi g. 1). La légende de cette photo indique
qu’il vient de rentrer au pays pour s’installer
comme fermier après de nombreuses années passées à
l’étranger. Il est aisé d’imaginer qu’Öberg et sa collection
aient suscité quelque peu l’attention à l’époque.
Le second article s’apparente plutôt à une courte
rétrospective de sa vie. Sur la photo qui l’illustre,
Öberg ressemble à un vieil homme (fi g. 2), bien que
seulement trois ans séparent les deux articles. Le texte
contient davantage de renseignements fi ables et utiles.
Il précise l’année lors de laquelle Öberg s’est installé
dans les mers du Sud et combien de temps il y a séjourné.
Il mentionne également l’île Tasman, les carnets de
voyage d’Öberg, ainsi que le don d’une précieuse collection
ethnographique à un village de Suède.
De nombreuses questions ont alors rapidement
émergé. Qui était Öberg ? Que faisait-il dans le Pacifi
que ? Sa collection et son histoire pourraient-elles
avoir été préservées jusqu’à aujourd’hui ? Que s’est-il
passé entre son retour en 1909 et son décès en 1933 ?