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DOSSIER
Parmi les autres rituels, la cérémonie d’initiation
était une façon de gérer les esprits en colère des victimes
décapitées. Ces esprits, qui avaient de bonnes
raisons de vouloir se venger, étaient vus comme nuisibles
à la communauté. Toutefois, quand ces esprits se
rendaient compte que leur nom avait été transmis à un
autre qui avait également repris leurs responsabilités
et leurs devoirs, ils comprenaient qu’ils n’étaient plus
nécessaires et qu’ils étaient libres de partir.
Les raids de chasse de têtes sur les voisins avaient
aussi pour but de promouvoir la défense du territoire
propre et la sauvegarde de l’approvisionnement de
nourriture fourni par les jardins agricoles. Enfi n, ils
soulignaient la position sociale du guerrier par le biais
du prestige et de la virilité, une pile de crânes étant
une manière de mesurer ses exploits. Bien que ses raids
aient été effectués par les hommes, les femmes n’étaient
pas totalement innocentes pour autant. D’après le père
Zegwaard, les femmes poussaient les hommes à l’action
en leur refusant toute satisfaction sexuelle (comm.
pers. Zegwaard à M. Stevens). Certains rapports font
également mention de femmes se joignant aux raids
et criant derrière des boucliers pour encourager leurs
hommes et insulter l’ennemi (Kjellgren 2007).
ANALYSE ET CONCLUSIONS
Sur des photos sur le terrain de guerriers asmat, ces
parures de nez semblent à première vue être des formes
abstraites. Toutefois, si l’on compare un grand nombre
d’entre elles, certaines tendances se dessinent. Nous
avons sélectionné quarante exemples à partir de notre
échantillon et cinq catégories ont émergé de notre
analyse (fi g. 8). Un prototype de chacun d’entre eux
sera analysé en détail ci-après et comparé à d’autres
objets présentant une iconographie similaire. Dans
quatre groupes sur cinq, il apparaît que la mante religieuse
(Rhombodera papuana) a servi d’inspiration à
l’artiste. En tant que puissant symbole de décapitation,
cet insecte offre une analogie presque littérale avec le
rituel asmat. En effet, la mante femelle mange la tête
du mâle pendant la copulation. En mourant ainsi, la
mante mâle « offre » sa tête nutritive afi n de donner
une chance de survie aux oeufs de la femelle (fi g. 7a).
Un exemple frappant de l’utilisation de la mante religieuse
comme motif dans l’art asmat est le poignard
représenté sur la fi gure 7b, où l’image presque anatomiquement
correcte de cet insecte est gravée dans l’os.
À titre indicatif, nous avons représenté un certain
nombre de pictogrammes, chacun dérivé de la mante
religieuse. L’aspect le plus distinctif de sa forme est
FIG. 10A : Analyse détaillée
d’un ornement de nez de
catégorie A (voir fi g. 8). Il
correspond au pictogramme
d de la fi g. 9. Le même
motif est observé dans une
sculpture en bois (Tribal Art
magazine 73 (2014), p. 112,
fi g. 17), dans un tambour et
dans un poignard en os. À
gauche, des photos d’objets ;
au milieu, des dessins
schématiques ; à droite, le
pictogramme de la fi gure 9.