FEATURE
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vertébrés du Naturalis Biodiversity Center afi n de découvrir
si un squelette de porc de Nouvelle-Guinée y
était disponible (fi g 4). Il s’est avéré que deux squelettes
pouvaient être étudiés : un Sus scrofa vitalis et un Sus
scrofa celernensis. En comparant les os des pattes avec
les os du nez, un candidat se distinguait : le fémur des
pattes postérieures (fi g. 5). Dans les cas où l’os à proximité
de l’articulation de la hanche a été préservé et n’a
pas été sacrifi é pour l’ornementation, la circonférence
asymétrique caractéristique de l’os reste reconnaissable.
De plus, les courbes longitudinales et les crêtes ont pu
être discernées au cours d’une inspection en temps
réel, mais celles-ci sont diffi ciles à reproduire dans la
documentation photo (fi g. 6). Par conséquent, notre
enquête suggère fortement que la majorité d’otsjes
dans les musées et les collections privées proviennent
de fémurs de porc. Les variations individuelles de taille
entre les os du nez peuvent s’expliquer par le dimorphisme
sexuel (les mâles étant légèrement plus grands
que les femelles), ainsi que par les différences entre les
sous-espèces (les photos anciennes de terrain que nous
avons vues montrent animaux aussi bien minces que
robustes) et l’âge auquel les animaux ont été abattus.
LA CHASSE DE TÊTES CHEZ LES ASMAT
Aux yeux d’une personne non informée, les Néo-
Guinéens, parés de peinture corporelle, de plumes
d’oiseaux aux mille couleurs, etc. pourraient donner
l’impression de vivre une vie joyeuse rythmée de
fêtes. La vérité est pourtant tout autre. Cette panoplie
fait partie d’un code utilisé pour communiquer avec
l’environnement naturel menaçant, les ancêtres, les
membres du même groupe et les ennemis potentiels
des villages voisins. Les esprits doivent être apaisés et
honorés, les ennemis intimidés et impressionnés par la
peur. Dans un tel contexte, il est clair que, tout comme
les autres ornements, les otsjes véhiculent un message,
mais peut-on le déchiffrer ?
Chercher à comprendre le symbolisme des parures
de nez, passe par reconnaître l’importance de la chasse
de tête dans les sociétés asmat. Le premier occidental
à vivre parmi les Asmat, le révérend G. A. Zegwaard,
qui y a séjourné de 1952 à 1956, a fourni une description
approfondie des récits mythiques relatifs à ses origines
possibles et décrit les rituels dont il a été témoin
(G. A. Zegwaard 1959). Les Asmat pensaient qu’il
existait un équilibre cosmique entre la vie et la mort.
Ainsi, le lever du soleil est vu comme la naissance et
le coucher du soleil comme la mort. L’un ne peut exister
sans l’autre, car tous deux font partie de la course
quotidienne du soleil. Quand les enfants naissent, ils
sont faibles et fragiles, malgré le fait qu’ils mangent
beaucoup. Afi n d’avoir de la vitalité et une place dans
le cosmos, d’autres humains doivent mourir. Bref, le
soleil doit se coucher pour pouvoir à nouveau se lever.
Les membres du village faisaient donc des raids pour
prendre des têtes, ce qui rendrait les enfants forts et en
bonne santé. Après un raid réussi, la tête « trophée »
était utilisée dans une cérémonie d’initiation qui durait
plusieurs jours. Un élément clé de cette cérémonie était
le temps pendant lequel l’initié méditait avec la tête trophée
entre les jambes qui touchait ses parties génitales.
Les Asmat associaient le corps humain à un arbre : les
jambes sont associées aux racines, le corps au tronc, les
bras aux branches et la tête au fruit. Ayant constaté que
les fruits tombés génèrent un nouvel arbre, ils pensaient
que le « fruit humain », la tête, générait lui aussi la fertilité
pour les jeunes initiés.
Un autre élément de l’initiation était l’immersion de
l’initié dans la mer avec la tête trophée. La mer est située
à l’ouest de l’endroit où vivaient les Asmat et c’est
également là que le soleil se couche. Dans leurs pirogues,
les initiés endossaient le rôle d’un vieil homme
usé donnant l’impression de devenir de plus en plus
en plus faible et faisant face à son coucher de soleil.
L’immersion dans la mer qui s’ensuivait symbolisait la
renaissance et les Asmat retournaient ensuite dans leur
village situé à l’est, où se lève le soleil.
Le nouvel initié recevait le nom de la victime. Cette
nouvelle identité s’avérait utile par la suite lorsqu’il
rencontrait les proches de la personne assassinée. Ils
l’appelaient alors par ce nouveau nom et l’accueillaient
comme un membre de leur famille. Il était interdit de
tuer quelqu’un qui, en raison de son nom rituel, était
lié au village du chasseur de têtes. De telles personnes
étaient souvent choisies comme négociateurs.
FIG. 7B : Mante religieuse
dévorant la tête de son
partenaire. Remarquez les
pattes antérieures crochues
proéminentes.
Source Wikimedia.
FIG. 8 (PAGE DE DROITE ET
SUIVANTE) : Une sélection
de quarante otsjes, parures
de nez. Ceux-ci sont
regroupés en cinq catégories
(A, B, C, D et E) en fonction
de leur ressemblance. Un
exemple de chaque catégorie
est traité en détail dans le
texte et dans les images à
venir.