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de compensations matrimoniales ou d’appareils rituels.
Par la combinaison entre précision et beauté, les couteaux
de jet produisent à la fois distinction et compétence
; ils font partie des plus remarquables innovations
FIG. 29 (À DROITE) :
Lamellophone chisanji.
Chokwe, Angola. Fin XIXe
siècle.
Bois, fer. H. : 36,2 cm.
Musical Instrument Museum, Phoenix,
inv. 2013.56.1.
© Musical Instrument Museum. Photo :
Troy Sharp, 2016.
Ce lamellophone possède des touches
sur trois niveaux et des éléments
d’amélioration du son comprenant des
perles de fer enfi lées sur un morceau
de fi l métallique plié, fi xé à la base
de la table d’harmonie en bois. De
minuscules boules de cire de frelon sont
placées sous les touches pour régler le
son. L’iconographie raffi née du chisanji,
qui rappelle les motifs que l’on trouve
habituellement dans la culture matérielle
des Chokwe, complète la beauté des
« poèmes à tons » des musiciens.
des forgerons d’Afrique.
SECTION VII : des lames de prix
Les différents modèles de monnaies d’échange précoloniales
également conçus par les forgerons offrent des
exemples tout aussi convaincants, souvent dérivés des
formes de lames d’outils et d’armes. Les objets en fer
jouaient un rôle à ce point essentiel dans les économies
locales et régionales qu’ils en devenaient eux-mêmes
des synonymes de valeur. Ces insignes forgés servaient
de paiement dans les échanges qui comptent le plus
dans une vie : mariages, litiges, rançons contre des captifs
de guerre, achats de chevaux, d’esclaves ou d’autres
produits de consommation prisés. Maintes sociétés
africaines créèrent des monnaies affectant la forme
d’une lame de houe pour les échanges matrimoniaux,
associant ainsi la productivité agricole avec le travail
et le potentiel de procréation qu’une épouse apporte
dans une concession familiale.
Les monnaies utilisées dans le cadre des
mariages constituaient un éloge matériel de la
femme reconnue comme une personne capable
de subvenir aux besoins de subsistance. Les
compensations de ce type étaient (et sont parfois
encore) le ciment des sociétés africaines de petite
taille ; elles dépendaient de la solidarité entre les
familles des futurs époux et créaient par la même
occasion un lien entre les parties. Après que les
deux groupes avaient négocié le montant de la
dot, le jeune homme s’adressait à ses parents qui
se tournaient alors vers le réseau familial pour
accumuler les biens requis. Les présents amassés
étaient ensuite présentés de manière festive comme
témoignages du statut du couple et ensuite redistribués,
le plus souvent pour que les jeunes hommes du lignage
de l’épouse puissent à leur tour se marier.
Les monnaies produites affectaient le plus souvent
des formes de barres ou de lames dans des tailles appropriées
pour être échangées par paquets contenant
plusieurs exemplaires. Certaines d’entre elles, impressionnantes
par leurs dimensions − aussi grandes qu’une
personne − étaient évaluées en fonction de la quantité
de fer requise et des performances du forgeron.
SECTION VIII : formes sonores
Quand le fer chaud est frappé par les marteaux et que
les souffl ets pompent l’air, la forge réverbère des sons
rythmés bien au-delà du lieu où le travail de transformation
s’opère. Cette résonance en mesure, qui se perçoit
comme de la « musique », est fondamentale du
début à la fi n du processus de production et est accompagnée
de prières et de chants dédiés à la forge en prélude
aux tâches du forgeron.
Des instruments de fer forgé catégorisés comme
idiophones produisent également de la musique. Ils
créent le son au travers du corps vibrant de leur matériau
principal − frappé, pincé, gratté ou frotté. Les
exemples d’idiophones en fer comprennent les cloches,
les grattoirs ou hochets utilisés pour scander les pas de
danse, les pianos à pouces (sanza, mbira, etc.) dont les
touches de différentes tailles sont pincées pour jouer
des poèmes à tons.
Parfois les sons du fer sont perçus comme des voix
du monde des ancêtres, du fait des pouvoirs spirituels
et surnaturels attribués au métal lui-même. Les instruments
sont conservés dans les trésors des chefs, gardés
dans les mains d’experts ritualistes, comme les devins,
et utilisés pour des occasions marquant des transitions
FIG. 28 (CI-DESSUS) : Cloche
janiforme mokengue. Tsogo,
Gabon. Début XXe siècle.
Fer, bois. H. : 44.45 cm.
Fowler Museum à UCLA, don de Helen
et Dr Robert Kuhn, inv. X86.1893.
© avec l’aimable autorisation du Fowler
Museum à UCLA. Photo : Don Cole,
2018.
Cette cloche, créée pour l’association
d’initiation des hommes tsogo
appelée Evovi, « les juges », fut forgée
en étant frappée sur un tempo qui
symbolisait les battements du coeur. La
tête qui surmonte le manche pourrait
représenter l’entité mythique Kombe,
qui est le soleil, la source de vie et le
juge suprême des êtres humains. Le
visage sculpté avec soin est typique de
la sculpture fi gurative tsogo.
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