STRIKING IRON
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SECTION V : les rôles de valorisation du fer
En Afrique sud-saharienne tout ce qui constitue le
monde − plantes, animaux, rivières, humains, mots,
gestes, musique − est empli de vie spirituelle ; il n’y
a pas de division arbitraire entre ce qui est animé et
ce qui ne l’est pas, entre ce qui relève du sacré et du
séculaire. Une telle conception, enracinée dans le savoir
indigène ancien et dans les systèmes philosophiques, a
servi les besoins et les objectifs locaux pendant des millénaires.
Le fer est massivement perçu comme un médium
qui active la puissance thaumaturgique. Le forgeron,
maître des processus de transformation du fer en
outils, en armes et en attributs poétiques de la culture,
est souvent en charge de la fabrication des objets qui
servent à invoquer et à représenter les divinités et autres
médiums au potentiel magique et qui assument une
fonction d’intermédiaires avec ce monde surnaturel.
Les populations yorùbá, edo et fon du Nigeria et
de la République du Bénin partagent des systèmes de
connaissance, des pratiques et des objets culturels en
fer, matériau doté d’une force performative appelée àṣẹ
chez les Yoruba et as se chez les Fon. Divinisé dans la
figure d’Ògún (ou Gu chez les Fon), le fer est essentiel :
énonciation de la vérité et comportement moral, divination,
guerre, fertilité de la terre et des humains, médecines
qui protègent, soignent ou détruisent et culte des
ancêtres. Les énergies créatrices d’Ògún déterminent la
vie d’une personne et le fer, garant de l’àṣẹ, préserve la
performance des actions sociales et sacrées.
SECTION VI : lames de pouvoir et de prestige
Les armes que sont les lames − lances, épées et couteaux
− ont servi des objectifs défensifs et des finalités
offensives sur tout le continent africain. Les forgerons
ont également transformé ce matériel de combat en insignes
capables de produire du pouvoir politique. À cette
fin, les lames, dépouillées de leur usage pratique, ont été
délibérément émoussées ; leur équilibre aérodynamique
a été altéré et leurs formes ont subi un accroissement,
un affinement ou une ornementation incompatibles avec
leurs fonctions originelles. Des épées, des sceptres et des
couteaux faucilles surdimensionnés, brandis par les guerriers
d’élite et les nobles au pouvoir furent conçus pour
attirer l’attention, générer l’effroi, inspirer la loyauté et
distinguer leurs propriétaires. Ces formidables objets
forgés transformaient le pouvoir en produit esthétique
pour transmettre des concepts essentiels comme l’honneur,
l’autorité, le succès et la sophistication.
Certaines haches ou herminettes sont pourvues de
manches en bois taillé qui figurent un personnage en
FIG. 18 (CI-DESSUS) : Vue de l’installation de Striking Iron
au Fowler Museum, 2018.
© Joshua White.
FIG. 19 (À DROITE) : Figure nkisi nkondi (objet-force).
Yombe, RDC. XVIIIe - XIXe siècle.
Bois, fer, alliage de cuivre, miroir, tissu, corde, perles de verre, cauris
(Cypraea moneta). H. : 114,3 cm.
Fowler Museum à UCLA, don de Wellcome Trust, inv. X65.5837.
© avec l’aimable autorisation du Fowler Museum à UCLA.
Ce nkisi nkondi constitue une armature pour
un vaste ensemble d’ingrédients, ajoutés
par le guérisseur qui est seul à en connaître
la composition secrète. S’y trouvent donc
des remèdes de phytothérapie, des racines,
des plantes et même des petites figures
sculptées dans le bois qui rendaient la figure
efficace. Les yeux réalisés à partir d’éclats
de miroirs administraient un regard fixe qui
prévenaient les agresseurs et détournaient
leur malveillance tandis que des substances
magiques, concentrées dans un paquet
au-dessus du nombril, étaient cachées à la
vue par des bandes de tissu. Le nkisi met en
lumière les fonctions associées au pouvoir
du fer par le biais des nombreux fragments,
lames, outils et clous qui redirigeaient les
desseins surnaturels vers les désirs et les
besoins humains. Chaque morceau de métal
était enfoncé pour convoquer les esprits
présents dans la sculpture et les encourager
à résoudre des problèmes personnels
et communautaires. Une telle figure est
devenue une archive d’intentions.