terrestre ; il circule aussi dans notre sang, lui donnant
sa couleur rouge. Comme sur la surface en fusion du
soleil, les braises rougeoient avec intensité dans le foyer
du forgeron africain. La cadence de son marteau battant
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le fer rouge évoque le rythme des pulsations du
coeur humain qui nous maintient en vie en pompant
avec régularité le sang lui-même riche en fer.
Les technologies de fonte et de forge de ce métal, qui
ont probablement débuté sur le continent africain il y a
quelque deux mille cinq cents ans, étaient recherchées
avec passion et préservées sous haute protection. Les
contrôler pouvait promouvoir l’ambition d’un roi, augmenter
la chance d’un guerrier et sécuriser le bien-être
d’une communauté. Grâce aux armes et aux outils forgés,
les Africains ont pu chercher la nourriture, chasser,
labourer le sol et, dans la foulée, assurer prospérité
et protection. L’âge du fer a révolutionné l’histoire de
l’Afrique et a défi nitivement bouleversé celle de la civilisation
humaine d’un point de vue pratique, symbolique
et cosmologique. Nulle part ailleurs dans le monde on
ne peut trouver des formes en fer forgé plus variées et
accomplies qu’en Afrique où la production du forgeron
et sa participation à la vie de la communauté est toujours
indispensable aujourd’hui.
SECTION II : La transformation matérielle du fer
Le fer est une des ressources naturelles les plus riches
du continent africain, mais c’est aussi l’une des plus diffi
ciles à transformer en matière utilisable. Pour les besoins
du forgeron, le métal destiné à être travaillé doit
être extrait de dépôts riches en fer par la fonte, procédé
FIG. 6 (À DROITE) : Forgeron
ewe Galbert Atakpa et
son assistant aux souffl ets,
Hodenou Noglo en train de
préparer une petite production
d’instruments de musique et
d’outils agricoles pendant la
saison sèche.
© Tom Joyce, Yohonou, Togo, 2008.
Pour répondre à la demande locale
pendant les mois de récolte et anticiper
la prochaine saison de culture, une
production effi cace implique un espace
de travail ordonné. Ici, le maître
forgeron est assis devant son enclume,
suffi samment proche du feu à surveiller.
À portée de sa main droite se trouvent
des marteaux, des mandrins coniques
en bois et en fer, des limes ainsi que
des tuyaux de récupération (pour servir
de matière de départ) à partir desquels
il peut trancher à froid des sections
destinées à être forgées. À sa gauche,
des morceaux de matériau déjà aux
bonnes dimensions, un tisonnier, des
pinces et du charbon. Sur le sol devant
lui, on voit des cloches qu’il est en train
de réaliser avec une accumulation de
calamine fraîche (écailles de fer oxydé)
autour de l’enclume.
FIG. 7 (À DROITE) : Souffl et
de forge. Lele, RDC. Début
XXe siècle.
Bois, étain. H. : 78.74 cm.
Collection Jo De Buck.
© avec l’aimable autorisation de Jo De
Buck. Photo : Frédéric Dehaen, 2017.
Les deux chambres hémisphériques
sculptées de cet ingénieux souffl et
correspondent à ses poumons. Elles
étaient autrefois recouvertes de sacs
en cuir attachés à des tiges verticales
que l’aide du forgeron empoignait
pour pomper l’air dont des quantités
substantielles étaient pulsées dans le feu
de charbon pour chauffer effi cacement
les pièces de grandes dimensions à
forger. Bien que présenté verticalement
ici pour attirer l’attention sur le visage
du personnage féminin dominant
− associé à la métaphore de la naissance
dans l’action qui consiste à donner vie
aux objets en fer dans la forge − ce
souffl et (comme d’autres exemples
africains du même type) nécessitait
d’être positionné horizontalement sur le
sol pour être opérationnel.
FIG. 8a et b (À GAUCHE) :
Marteaux, otutu (à gauche)
et owú (à droite). Igbo (à
gauche) et Yorùbá (à droite),
Nigeria. XXe siècle.
Fer forgé. H. : 33,5 et 26 cm.
Collection privée.
© avec l’aimable autorisation du Fowler
Museum à UCLA. Photo : Don Cole,
2018.
Munis d’un manche court, ces
marteaux en fer d’un seul bloc sont
utilisés partout en Afrique ; leur forme
cependant varie, même au sein de
groupes voisins. Ils sont façonnés de
telle manière que chaque côté peut
servir de surface de travail ; certains
sont conditionnés pour que leur hampe
effi lée puisse être fi chée dans le sol,
ce qui leur permet de fonctionner
alternativement comme enclume
pour un travail léger. Ces formes
ergonomiques, souvent phalliques, font
référence aux pouvoirs de procréation
des forgerons qui fournissent leur
communauté en objets bénéfi ques.
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