ART + LAW
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CI-DESSUS : Vue des murs
de l’Assemblée nationale
française encore ornés de la
peinture sur toile réalisée par
Hervé Di Rosa en 1991 et
portant pour titre L’histoire
en peinture de l’Assemblée
nationale.
© Avec l’aimable autorisation de
l’artiste, photo : Pierre Schwartz.
CI-DESSOUS : Vue de détail
de la peinture d’Hervé Di
Rosa.
© Avec l’aimable autorisation de
l’artiste, photo : Pierre Schwartz.
La Cour européenne des droits de l’homme (...) rappelle par
une jurisprudence constante que la liberté d’expression (...) constitue
l’un des fondements essentiels d’une société démocratique.
place, sa photo a été retirée du site internet de
l’Assemblée nationale. L’expression artistique estelle
encore libre ? Il est permis d’en douter tant les
contre-exemples foisonnent.
Ainsi, et sans que ce soit exhaustif, que dire encore
du retrait par la municipalité de Los Angeles,
le 10 novembre 2018, de la statue de Christophe
Colomb, qui était pourtant installée dans le Grand
Park du centre-ville depuis 1973, parce que jugée
comme étant un « symbole d’oppression » par des
associations amérindiennes ? Ou de la suppression
par l’université de Notre-Dame dans l’Indiana,
l’un des établissements les plus anciens et les plus
prestigieux des États-Unis, de fresques peintes
à la fi n du XIX e siècle, consacrées à Christophe
Colomb, toujours, au motif qu’elle donnerait une
image faussée de l’histoire de l’Amérique coloniale.
Deux décisions qui ne sont pas isolées puisque
des controverses similaires ont même secoué la
ville de New York, qui n’est pourtant pas connue
pour son sectarisme, au sujet de plusieurs statues,
représentant Théodore Roosevelt ou, une nouvelle
fois, Christophe Colomb. La ville de San Francisco
qui, en septembre 2018, a fait retirer une statue
qui aurait porté atteinte, par sa représentation, aux
peuples autochtones amérindiens. Enfi n, un poème
publié dans la revue The Nation a été l’objet d’une
campagne de dénigrement simplement parce que
l’auteur, sans être lui-même handicapé, avait utilisé
le mot crippled, « estropié ».
Tant de sentences arbitraires ordonnées au nom
d’une vision communautariste de l’art, sans que
la valeur artistique de ces oeuvres, l’intention des
artistes ou leur droit, même posthumes, n’aient été
pris en compte.
Pourtant, la liberté d’expression, notamment
artistique, sous réserve d’un usage abusif
évidemment, est protégée par toutes les législations
des pays démocratiques. Aux États-Unis,
bien que la liberté de création artistique ne fasse
pas l’objet d’une protection autonome, elle se rattache
à la liberté d’expression garantie par le premier
amendement de la Constitution. En Europe,
la Cour européenne des droits de l’homme, pour
ne citer qu’elle, rappelle par une jurisprudence
constante que la liberté d’expression, consacrée
par le paragraphe 1 de l’article 10, constitue l’un
des fondements essentiels d’une société démocratique.
Ainsi dans l’arrêt Vereinigung Bildender
Künstler contre Autriche du 25 janvier 2007, la
Cour rappelle que « ceux qui créent, interprètent,
diffusent ou exposent une oeuvre d’art contribuent
à l’échange d’idées et d’opinions indispensable à
une société démocratique. D’où l’obligation, pour
l’Etat, de ne pas empiéter indûment sur leur liberté
d’expression ».
Sur ce double constat, d’une part, d’une véritable
communautarisation de l’art par la censure
et, d’autre part, de l’existence d’un arsenal juridique
propre à garantir la liberté d’expression des
auteurs, il faut bien conclure en rappelant aux
artistes et à leurs soutiens publics ou privés qu’ils
ne sont assujettis qu’aux seules lois votées par les
représentants élus des nations dont ils ressortent
et qu’ils ne sauraient donc être soumis à d’autres
règles, ou contraints de céder aux tentatives d’intimidation
idéologique et aux imprécations accusatrices
de toute sorte qui sous couvert de progrès appartiennent
en fait à un autre âge et nient la vision
qu’un esprit libre peut avoir d’un monde ouvert,
commun et où la différence est belle, naturelle et
non contrainte.
« Messieurs les censeurs, bonsoir ! » «
«