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DOSSIER 120 lances, trônes, etc – sont également lourdes de sens. Il en va de même pour les rangées de perles ornant souvent les trônes sculptés (fi g. 18) et les « planches mnémoniques » sacrées, les lukasa. Petit artefact insignifi ant de prime abord, la lukasa synthétise l’histoire et la pensée luba grâce à ses perles savamment agencées et ses motifs sculptés. Des motifs similaires se retrouvent dans les scarifi cations corporelles en relief que les femmes arborent. Signes de beauté empreints d’érotisme, ils véhiculent également des allusions complexes à des faits historiques, des récits, des énergies et des lieux. Cette fusion de l’esthétique avec les pouvoirs spirituels et royaux constitue l’essence même des arts sculpturaux luba, comme l’a démontré Polly Roberts. CONSTRUCTIONS SÉMANTIQUES ET MÉTAPHORIQUES Dans plusieurs cultures africaines, la mère est le point central, un foyer ou un fourneau32 duquel émergent ou rayonnent d’autres êtres, des substances vitales comme le fer, et des activités. Les constructions sémantiques, métaphoriques et philosophiques observées dans tous les exemples de mères et d’enfants évoqués sont courantes dans les régions où cette icône se trouve au coeur des croyances et des processus rituels, qu’ils soient spirituels, politiques, sociaux ou tout cela à la fois. La plupart des institutions commanditaires orchestrent également des valeurs esthétiques, soit visuelles, soit prenant fréquemment la forme d’expressions et de processus sonores et cinétiques. À la fois image et concept dominant, la maternité est une réalité capable de transformer et de générer un noyau centripète qui s’étend au-delà de son modèle original naturel pour englober et intensifi er d’autres facettes de la vie. Dès lors, le couple mère-enfant représente un vaste ensemble de valeurs et d’activités rituelles. Loin d’être une image statique, la fi gure de la maternité renvoit, dans le domaine des arts, à un processus temporel comparable à l’activité d’une mère qui élève ses enfants, comme l’illustre la dimension éphémère des sculptures igbo de la déesse Terre et l’édifi cation ritualisée de sa maison mbari, le symbolisme d’une maison de chef pende et de sa construction, ou encore les rites d’intronisation d’un roi luba. Lorsqu’elle accouche, une femme se mue en une mère créant une vie nouvelle. Comme le feu et la maternité en tant que telle, les représentations de la maternité sont loin d’être statiques. Denses et compactes, elles symbolisent le développement humain et l’évolution sociale dont le succès et la prospérité dépendent de la nutrition, de l’apprentissage et de bien d’autres activités. Les rites les plus importants liés à ces représentations de la maternité transforment également les institutions et les lieux dans lesquels ils se déroulent. Cet archétype va donc bien au-delà du concept de la mère nourricière. Il s’étend à l’éducation des enfants, à leur conversion en adultes, jusqu’à la succession des souverains et la régénération de communautés entières33. De fait, les mères comprennent que, pour elles, la maternité prend fi n lorsqu’elles meurent, mais se poursuit dans leur descendance. NOTES 1. Le couple homme-femme, le cavalier, le héros et, à de nombreux égards, l’étranger, sont des thèmes qui pourraient être considérés comme des archétypes. Voir Herbert Cole, 1989, Icons: Ideals and Power in the Art of Africa et Alisa LaGamma, 2011, Heroic Africans: Legendary Leaders, Iconic Sculptures. J’ai conscience de la vive controverse suscitée par le mot et le concept d’« archétype », mais je crois que le thème universel de la maternité mérite ce terme. Voir Erich Neumann, 1963 (édition anglaise), The Great Mother. Mes remerciements à Kate Ezra, qui a lu et commenté une version préliminaire de cet article. 2. D’autres divinités féminines apparaissent dans des maisons mbari dans des postures similaires avec des enfants. Toutefois, Terre est la déesse locale dominante dans une vaste région. FIG. 21 (CI-DESSOUS) : Figure porteuse de coupe. Luba, RDC. Bois et perles. H. : 13,7 cm. Museu Carlos Machado, Pont Delgado, Açores, inv. 256.


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