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DOSSIER est la fondatrice de la matrilinéarité et la patronne des femmes. Elle préside également à certaines puissantes institutions initiatiques masculines18. Le bosquet sacré, situé en dehors du village, est son lieu de résidence (fi g. 11). Elle possède un homologue masculin, un dieu créateur, mais celuici occupe une place moins importante, aussi bien dans la vie quotidienne que dans l’art. La déesse Mère incarne un ensemble de notions apparentes et cachées, à l’instar de l’initiation à laquelle elle préside, qui dispense sur une période de vingt ans un enseignement à la fois pratique et ésotérique aux novices, ses « enfants ». Elle est supposée absorber ces êtres informes – les jeunes hommes enlevés à leur mère – lorsqu’ils pénètrent pour la première fois dans sa demeure. Elle les ramène plus tard sous forme d’êtres humains complets, après les avoir nourris « avec le lait de la connaissance » (fi g. 1)19. Le même auteur parle d’une sculpture stylisée de cette divinité et de sa « créature, mince et semblable à une larve », le novice est encore un être informe en train de téter20. Une cérémonie organisée ultérieurement symbolise un « sevrage » de la Mère21. Au cours du cycle d’initiation, les impétrants diront qu’ils sont « au service de notre mère ». LES SCULPTURES DE FAÎTAGE DES PENDE ORIENTAUX La présence imposante d’une grande sculpture représentant une mère et son enfant, une kishikishi, au sommet des maisons de rituel, les kibulu (fi g. 14), de « grands chefs » importants parmi les populations matrilinéaires des Pende orientaux en RDC est un phénomène typique du milieu du XXe siècle22. Une fi gure à la belle patine s’inscrivant dans cette tradition (fi g. 15) pourrait laisser penser qu’il s’agit d’une pratique ancienne, mais les études de terrain menées par Strother suggèrent le contraire, rappelant que les rites, l’art et la vie quotidienne en Afrique évoluent plus ou moins en permanence23. Les maternités de faîtage portant des armes sont devenues des symboles très importants, dans la mesure où elles signalent le domaine sacré d’un chef ainsi que son expérience en sorcellerie ; autant de compétences qui lui permettent de diriger et de protéger son peuple. La fi gure féminine brandissant une hache préserve les secrets du pouvoir du chef renfermés dans ce bâtiment, qui sert également de lieu de résidence à ce dernier (fi g. 17). Le « ventre » de la maison constitue son sanctuaire 116 le plus intime et se situe sous la poutre centrale, qui soutient la sculpture. Toutes les graines et les céréales cultivées sont rituellement entreposées dans ce lieu, de même que des substances médicinales protectrices. Une prière récitée secrètement dans l’obscurité de l’aube révèle que la maison et son contenu représentent un microcosme du monde pende. Le chef prononce l’invocation suivante : « Tu es la poutre centrale de la maison, tu es le village avec ses habitants, ses champs et sa forêt. Nous t’avons donné toutes les graines pour la culture afi n que tu puisses t’emparer de la terre comme les racines des graines s’emparent de la terre làbas. Toutes les graines poussent, puisses-tu pousser comme les graines poussent, afi n que les femmes puissent enfanter, afi n qu’il puisse y avoir beaucoup de vin de palme, afi n que les chasseurs puissent tuer leur proie avec leurs fusils.24 » Visible et surélevée, la maternité brandissant une hache affi rme ces idées. Elle évoque la première épouse du grand chef, sublimée dans sa fonction nourricière. En vertu d’un consentement ancestral, elle protège la vie des Pende au sein du royaume du chef. Son arme est un avertissement à quiconque aurait de mauvaises intentions. En sa qualité de première épouse, elle remplit des fonctions rituelles relatives à l’agriculture et incarne une force politique. Elle danse avec une hache lors de l’investiture du chef, puis lui remet l’arme afi n que ce dernier décapite un chien d’un seul coup. Le sang du chien et celui d’une chèvre abattue par son premier ministre sont recueillis dans une coupe qui est transmise à toutes les personnes assistant à la cérémonie. L’enfant représente la continuation de sa fi liation matrilinéaire et rappelle la mort d’une soeur et, par conséquent, la perte d’une descendance25. Le sculpteur pende Kaseya Tambwe Makumbi est réputé pour ses sculptures de faîtage au style plus naturaliste que la plupart des oeuvres pende. Durant sa période la plus productive, dans les années 1940 et 1950, il fut notamment infl uencé par les images de la Vierge à l’Enfant appartenant aux missionnaires. C’est d’ailleurs à cette époque que les fi gures de maternité de toit devinrent populaires. FIG. 14 (CI-DESSUS) : La kibulu du chef pende Komba-Kebeto. Photographiée par Leon de Sousberghe, 1955. Eliot Elisofon Archive, National Museum of African Art, Smithsonian Institution. PAGE SUIVANTE FIG. 15 (EN HAUT À GAUCHE) : Mère et enfant Pende orientaux, RDC. Bois. H. : 81,3 cm. Collection privée. Photo : Jerry L Thompson. FIG. 16 (EN BAS À GAUCHE) : Figure de maternité ornant le toit d’une maison de chef. Pende orientaux, RDC. Bois, métal et pigments. H. : 125 cm. Africarium Collection. Photo : Austin Kennedy. FIG. 17 (À DROITE) : Figure de maternité ornant le toit d’une maison de chef, sculptée par Kaseya Tambwe. Pende orientaux, RDC. Bois. H. : 153 cm. Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, inv. EO 1950.25.1. masculines


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