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attributs masculins. Certaines de ces sculptures sont des maternités. En outre, les représentations masculines restent rares. LA DÉESSE TERRE CHEZ LES IGBO D’OWERRI Ala est la divinité universelle dominante3 chez les Igbo d’Owerri. Depuis plus d’un siècle, des maisons appelées mbari lui sont destinées, des structures extraordinaires qui font offi ce d’autels de sacrifi ces. Ala est une femme âgée, une mère accompagnée d’un ou de deux enfants (fi g. 4). Les autres fi gures font tout au plus la moitié de sa taille. Terre est la mère de tous les dieux et de toutes les choses qui grandissent, y compris les humains. Elle constitue littéralement le socle de l’existence des habitants d’Owerri en sa qualité de source de la fertilité, de la moralité, de la tradition et, dès lors, de la culture4. Elle est en même temps la nature et la culture, deux entités qui se rejoignent et coexistent en elle. La Terre déifi ée est parfois envisagée en association avec son partenaire masculin fécondateur du royaume céleste, Amadioha, dieu du tonnerre, de la foudre et de la pluie. Mais ce dernier est de moindre importance, tant sur le plan artistique que sur celui de la pensée. Les représentations d’Ala destinées aux mbari sont modelées dans de l’argile sacrée extraite de termitières par des initiés5, puis écrasée dans des mortiers afi n de lui conférer la consistance de l’igname pilée, l’aliment de base (fi g. 7). Transformée à deux reprises, d’abord par les termites puis par les femmes, comme si elles préparaient de la nourriture, cette argile est appelée fufu – le terme employé pour désigner les boulettes d’igname pilée prêtes à être consommées. Lorsqu’ils partent récolter l’argile habitée par les esprits sur les termitières, les agents spirituels de la mbari disent qu’ils se rendent à la « ferme d’igname ». Le fait qu’une reine termite ponde jusqu’à treize millions d’oeufs par an n’est pas anodin. L’essence de la déesse Terre – sacrée, fertile, génitrice, nourricière et créatrice des lois – telle qu’elle est interprétée par les Igbo réside dans la nature et, simultanément, la culture. Les maisons mbari étaient rarement construites pour éviter une catastrophe naturelle ou provoquée par les hommes, mais plutôt en guise de sacrifi ce à Terre, la divinité la plus importante6. Pour les grandes mbari bâties dans les années 1930, des hommes et des femmes déterminés étaient initiés aux pratiques rituelles pendant au moins une année. Des artistes professionnels façonnaient les habitants 112 (entre cinquante et cent cinquante) de la maison, tout comme les scènes de la vie quotidienne qu’elle contient également (fi g. 6). Toutes les fi gures et le bâtiment lui-même étaient peints par ces agents spirituels. Les murs supérieurs étaient souvent ornés d’un soleil, d’une lune et d’un arc-en-ciel (fi g. 5). En l’honneur de la mère Terre, la communauté et, de fait, le monde renaissaient dans la Terre et « l’igname ». Les impératifs biologiques de l’accouchement et de la subsistance sont concentrés dans la sculpture d’Ala avec ses enfants, ainsi que dans le processus de reconstruction symbolique de sa communauté, de ses fermes et du monde. LES FIGURES BAMANA DU GWAN Les concepts dualistes de badenya et fadenya traduisent la richesse de la pensée des Bamana du Mali se rapportant aux sociétés du Jo ainsi qu’aux fi gures masculines et féminines du Gwan. Comme il a été évoqué précédemment, le rôle équilibrant et complémentaire de l’homme par rapport à la femme (fondamental pour la production agricole et la reproduction humaine) y est reconnu. Cependant, en matière d’art, les fi gures féminines – et particulièrement les maternités – ont la part belle. Une profonde sagesse et une grande force spirituelle se dégagent aussi bien de la maternité que de la représentation masculine (fi g. 8 et 9), dont l’importance dans les ensembles du Gwan est soulignée par le port d’amulettes et d’armes, tout comme par leurs grandes dimensions et leurs poses majestueuses. Plus qu’à ces attributs formels, ces statues doivent leur pouvoir à des pratiques rituelles et à l’application de substances médicinales7. Les arbres utilisés par les forgeronssculpteurs pour sculpter ces représentations ont poussé sur des termitières. Tant les arbres que les termitières incarnent une énergie spirituelle féconde, la nyama8. La badenya, la notion bamana se rapportant à la « lignée maternelle », est liée aux forces sociales centripètes que sont la stabilité, l’unité et la coopération, à savoir les éléments qui ramènent typiquement un individu vers le groupe, en réalité vers le foyer et la mère. La fadenya, « lignée paternelle », est quant à elle une notion centrifuge, associée à l’individualité, la compétition, l’autopromotion et l’héroïsme – des caractéristiques qui poussent une personne en dehors de son milieu social9. Les deux sexes possèdent des éléments de chaque nature et tous deux sont essentiels à DOSSIER


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