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Jean Paul Barbier-Mueller 1930–2016 À mon pote Jean Paul, quand je relis les centaines de mails que tu m’as envoyés, j’ai peur que ma faible prose ne te fasse sourire. Car dans ce que tu m’écrivais, on y trouvait tout : des connaissances bibliques, littéraires et artistiques, des commentaires précieux, de l’humour souvent, de la férocité parfois. Tes jugements sur nos passions communes, sur les marchands, les collectionneurs, 154 les maisons de vente étaient autant attendus que redoutés. Il étaient toujours pertinents. Ton superbe magazine Arts et Cultures n’était que le refl et de son fondateur et ces deux mots te collaient à la peau, c’était toi. Ton fi ls Gabriel écrivait à propos de son exposition sur les samouraïs que ceux-ci voulaient enseigner aux jeunes l’honneur, la bienveillance, la loyauté, l’écriture et la poésie. Tout cela, tu l’as fait comme collectionneur, comme directeur de musée, comme commissaire d’exposition et chercheur mais, aussi et surtout, comme ami. Qui connaît la Pléiade ? Toi. Qui connaît le pays Toba ? Toi. Qui connaît Michel Butor ? Toi. Qui connaît les contemporains et les successeurs de Ronsard ? Toi. Qui connaît Antoine Blondel, Bernard Bardon de Brun ? Toi. Qui connaît les Nazé ? Toi. Qui connaît Tabiteuea ? Toi. Qui connaît l’Indonésie, la Nouvelle-Irlande, les Lobi, les Nazca, les Fang, les Cyclades, la Côte d’Ivoire, Bali, toi, toi et encore toi. Je pourrais faire une liste de ce que tu connais, mais il me faudrait plusieurs pages… Non seulement tu connaissais tout, mais tu savais tout. Ne m’as-tu pas écrit quelques heures avant de partir le 22 décembre dernier : « Tu sais, ce n’est pas du cinéma, mais je sens que je ne vais pas passer beaucoup de Hanouka »… Toi au moins tu connaissais le calendrier hébraïque. Que dis-je, tu connaissais tous les calendriers. Tu remarques, Jean Paul, que j’écris au présent, car, comme l’écrivait Federico García Lorca, l’un de tes poètes favoris : « Rien n’est plus vivant qu’un souvenir. » Et ton souvenir m’habite. Tu vas manquer à ta famille : à Monique, à tes trois fi ls et à tes chers petits-enfants… Tu vas manquer à Laurence, qui t’a accompagné avec dévouement dans ton aventure muséale, oeuvrant à ce que le prestige du musée Barbier-Mueller, qui fêtera en mai ses quarante ans, soit reconnu bien au-delà des frontières suisses. Tu sera regretté des collectionneurs, pour qui tu as toujours été un phare, des marchands d’art tribal, des musées, des chercheurs, des membres de l’Académie française, ainsi que des Amis de ton musée. En fait, c’est à nous tous que tu vas manquer… À tous ceux qui souffrent ta perte, puissent ces mots de Simone Weil leur apporter du réconfort : « Il restera de toi ce que tu as donné. Au lieu de le garder dans des coffres rouillés. Il restera de toi, de ton jardin secret, une fl eur oubliée qui ne s’est pas fanée. Ce que tu as donné en d’autres fl eurira. Celui qui perd sa vie un jour la trouvera. Il restera de toi ce que tu as offert… » Pierre Moos HOMMAGE © ABM archives Barbier-Mueller, photo : Luis Lourenço.


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