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HUNSTEIN 99 de laquelle émerge une rangée verticale de crochets divisant un visage nettement défi ni, cet exemplaire se caractérise par ses yeux tubulaires et sa bouche sculptée12. Un spécimen semblable apparaît sur la photo de Hunter (fi g. 12), entre les mains du gardien de la maison d’un campement de chasse sur l’April. Ces deux catégories de garra, néanmoins, sont loin d’être étanches comme en témoigne la planche concave et étroite de la National Gallery en fi gure 10, dotée également d’un petit « visage » central. Le garra féminin abrité dans la collection de la National Gallery et collecté par Attenborough dans le village d’Inaro (fi g. 9), quant à lui, possède des yeux percés à travers la planche, tout comme l’exemplaire provenant de la même source illustré en fi gure 13. Craig indique que ce type de « masque » plus large était appelé komkii par les Sanio de Bekapeki13. Les divers éléments des garra ont donné lieu à plusieurs interprétations. Les crochets pointus ont été tour à tour qualifi és de barbillons de poissonchat, de sangsues allongées ou encore de becs de calao (Rhyticeros plicatus). Selon Newton, l’idée qu’il s’agirait d’un calao s’expliquerait par le fait que seuls les hommes plus âgés avaient le droit de manger la chair des calaos, des oiseaux qui, par ailleurs selon les croyances, nichaient dans des lieux habités par les esprits de la forêt garra14. Chez les Bekapeki, en outre, les crochets bahinemo étaient compris comme des becs d’oiseaux, une signifi cation différente de celle que ces derniers donnaient aux crochets de leurs propres sculptures. Selon Craig, le terme beinafe désigne les crochets, tandis que la protubérance centrale est appelée mo’u, ou poitrine (fi g. 17)15. Cet élément central a été perçu de diverses façons, comme les yeux d’un casoar ou d’un cochon mais aussi comme la représentation du soleil ou de la lune16. En 1971 à Inaro, lorsque trois des garra de la National Gallery furent collectés (fi g. 9, 13 et 16), Ray Langford17 apprit que les garra représentaient un charançon, un insecte dont la larve se développe dans le tronc du cycas18. Chris Boylan, collectionneur de terrain et marchand d’art océanien, s’est rendu à plusieurs reprises dans les villages bahinemo septentrionaux de Yigei et Wagu du début à la moitié des années 1990. À Wagu, Boylan eut l’occasion de s’entretenir avec un ancien au sujet des sculptures garra. Ce dernier en vint à qualifi er les crochets de « lances magiques ». Toujours d’après lui, l’esprit vivant supposé habiter la sculpture se manifestait à travers les ombres FIG. 10 (PAGE PRÉCÉDENTE) : Garra. Bahinemo, probablement village de Namu, à proximité du fl euve Salumei, monts Hunstein, province du Sepik oriental, Papouasie-Nouvelle-Guinée. Bois. H. : 105 cm. Collecté par Wayne Heathcote ; excoll. Philip Goldman, vers 1969-1970. National Gallery of Australia, Canberra, inv. 2011.951. Ce garra est une forme intermédiaire entre un « masque » et un type de crochet à regarder de profi l. Il possède également un petit motif « double visage » doté d’une paire d’yeux au centre. Selon Douglas Newton, il s’agit d’un style propre au village de Namu et ses environs. vacillantes provoquées par la lueur du feu dans la maison des hommes et se dessinant sur les garra19. FONCTIONS DES SCULPTURES À CROCHETS Les informations sur la fonction des garra sont très succinctes. Nous savons que les non-initiés n’avaient pas le droit de les voir et que les esprits s’y rattachant étaient supposés assister les chasseurs, les pêcheurs et les guerriers. À ces fi ns, l’esprit était invoqué à travers un rite consistant en une offrande de noix de bétel (issues du palmier Areca) et de feuilles de gingembre sauvage attachées aux crochets ou, le cas échéant, au trou central du garra. Leur usage dans le cadre des rites initiatiques masculins des Bahinemo et des Bekapeki est un peu mieux connu. Les sculptures étaient dévoilées aux initiés avant que ces derniers ne regagnent leur communauté en qualité d’hommes adultes. Si le processus d’initiation variait d’une région à l’autre, nous savons que les hommes bahinemo devaient notamment se faire percer le bout du nez de manière à pouvoir y placer de petits crochets en bois ou les « cornes » du scarabée rhinocéros (plusieurs formes de scarabéidés dynastes) pointés vers l’avant (fi g. 17)20. Newton fournit une description extrêmement complète de l’utilisation des garra lors des rites d’initiation masculine observés à Wagu21. Après une période d’isolement, les jeunes hommes étaient enduits d’ocre, un pigment réputé pour être « la marque des objets sacrés ». Newton remarqua alors FIG. 11 (CI-DESSUS) : Crochets de culte mis en vente dans le village de Bekapeki, fl euve April, 1972. Avec l’aimable autorisation de Barry Craig, réf. BK12:18.


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