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L’ART KUYU 97 FIG. 8 (CI-DESSOUS) : Didier Normand analysant le bois d’une tête du style II offerte par Charles Ratton au musée des Arts Africains et Océaniens (MAAO). 1982. Archives de l’auteur. limité à quatre permet un intervalle extrême entre elles et confi rme le caractère symbolique de la représentation. Le modèle de la grille se retrouve dans les bouches du style I (fi g. 11-a), mais par alignement en colonne des dents du haut et du bas, avec un moindre écartement. Dans le style III, (fi g. 11-c) le modèle de la grille et son écartement ont disparu au profi t de dents en forme de crochet23 ou de dents en pointe, elles, à l’identique dans la bouche des vivants. L’évolution s’est poursuivie à l’intérieur de ce style par la raréfaction du modèle « en crochet » et par l’augmentation du nombre de dents en pointe, d’abord sur la mâchoire supérieure puis sur les deux mâchoires, pour aboutir à une dentition « normale » sur les kébé-kébé tardifs. Au-delà des variations, les objets témoignent d’un idéal dont l’Homme ne pouvait évidemment que se rapprocher et dont le symbolisme n’a pas résisté à la colonisation. Sur les photographies des années 1920, les villageois présentaient encore des mutilations dentaires mais on n’a pas pensé à les interroger sur leur signifi cation. Soixante ans après, des Africains interrogés par les étudiants de l’école dentaire de Paris n’y voyaient plus qu’un critère de beauté24. Les sculptures kuyu sont plus couvertes de couleurs que celles des contrées environnantes. Les pièces de styles I et II ne gardent trace que des pigments, tout comme les plus anciennes du style III, mais les objets les plus récents sont peints. On le sait, l’usage des pigments naturels est associé à un nombre limité de couleurs symboliques : noir, blanc, rouge, ocre25. L’administrateur Camp affi rme en 1932 qu’un bleu fabriqué dans la terre des marigots était en usage chez les Mbochi avant que le bleu de lessive, plus rapide d’emploi, ne s’impose, conjointement aux pigments traditionnels26. La peinture industrielle l’a fait disparaître à son tour et a augmenté la gamme des couleurs de marron, de rose et même, dernièrement, de vert. L’évolution a donc non seulement bouleversé la relation des couleurs entre elles, mais aussi rompu le lien avec les éléments naturels, dont l’imprégnation vivifi ait les objets. Autant que les couleurs, les scarifi cations sont très présentes sur les objets kuyu. Les styles I et II affi rment énergiquement des motifs stables. Sur la plupart des kébé-kébé du style III en revanche, les motifs apparaissent moins en relief et plus graphiques. Le vocabulaire traditionnel s’est diversifi é par des apports de voisinage et par l’innovation depuis que la colonisation a bouleversé les repères. Les administrateurs ayant noté que les populations mbochi étaient peu scarifi ées, contrairement aux Kuyu, faut-il en déduire que tout objet scarifi é est ipso facto kuyu ? La question ne s’est pas posée tant qu’on a appelé « art kuyu » tout ce qui provenait de la région. Maintenant que sur place dominent les Mbochi, la distinction suivant le nombre de scarifi cations ne convient plus. Déjà, aux temps premiers de la collecte, les Mbochi passaient commande aux sculpteurs kuyu ; aussi leurs kébé-kébé étaient-ils très scarifi és, à l’instar de l’exemplaire de Bâle (fi g. 2)27. On sait que par la suite les sculpteurs mbochi ont pris le relais. Notons que, du fait de la colonisation, les Kuyu ont cessé d’arborer des scarifi cations28, d’où leur effacement progressif sur leurs propres objets. À la diffi culté de FIG. 9 (CI-CONTRE) : Ensemble de marottes kébékébé (style III). Kuyu, Congo. 1984. Archives de l’auteur. Sculpté par Mangué Eugène (Brazzaville), l’exemplaire de droite représente le Président Marien Ngouabi. FIG. 10 (AU MILIEU À GAUCHE) : Schéma illustrant les différents manches de maintien de la sculpture kuyu. Infographie d’après un dessin de l’auteur. © Tribal Art magazine. Style II : face et dos Style III : pointu ou poignée


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