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93 FIG. 2 (EN BAS) : Marotte (style III). Kuyu, Congo. Bois et pigments. H. : 59 cm. Acquis en 1909. Museum der Kulturen, Bâle, III 3106. © Museum der Kulturen, photo : Peter Horner. FIG. 3 (À DROITE) : Tête (style I). Kuyu, Congo. Bois et pigments. H. 28,5 cm. Collectée par Aristide Courtois. Ex-coll. Madeleine Meunier. Collection privée. Avec l’aimable autorisation de Christie’s Paris. la quasi-totalité des styles I et II. Comment se faitil que Poupon, sur le terrain avant eux et mieux préparé par sa formation d’ethnographe, ait pu ignorer ces deux styles ? Ils coexistaient encore à l’époque des premières collectes. S’il n’en a pas parlé, c’est sans doute que, dans la période d’installation de l’ordre colonial, il pouvait voir seulement ce que les Kuyu voulaient bien lui montrer. Un témoignage recueilli sur place en 19846 semble confi rmer cela. Ce que Poupon apprend par exemple de la société des femmes-panthères nommées Tsengui7 se limite à la démonstration d’un rituel qui ne laisse apparaître d’autre objet qu’une pirogue. Or, Antoinette Ehouli, femme-chef de Kouyougandza (fi g. 5), a reconnu sur photo une statue à tête amovible (fi g. 6) que des femmes utilisaient encore lorsqu’elle était enfant, quand elle accompagnait sa mère dans la société, tout au plus une vingtaine d’années après les études de Poupon. Qu’un homme et un Blanc s’intéressât aux secrets d’une société féminine était pour le moins incongru dans le contexte traditionnel. Que pouvait-on lui montrer sinon un simulacre… sans objet ? Aristide Courtois, en revanche, plus engagé dans une mission de police, homme d’action plus que d’études, a eu nombre d’occasions d’accéder aux objets des sociétés secrètes et de les confi squer, en brûlant les villages pour éradiquer la mouche tsé-tsé, ou en représailles de la traite négrière8. Par la suite, le dernier administrateur colonial, Georges Mazenot, en exercice de 1959 à 1963, n’a vu sur place de tels objets. S’il en était resté, ils n’auraient pas survécu à l’épisode du visionnaire Pascal Tsaka-Tsaka. Venu du Gabon à la fi n des années 1950, celui-ci a voulu éliminer les féticheurs qu’il considérait comme des sorciers9. Forçant les paysans kuyu à sortir tous leurs objets, soi-disant pour les bénir, il a tout brûlé ou jeté dans la rivière avant de repartir. Pour autant, la fabrication des sculptures n’en a pas moins continué, mais uniquement celle du style III. Le souvenir des styles I et II s’est totalement effacé de la mémoire autochtone, parallèlement au déclin des « sociétés secrètes »10. Nous pouvons supposer que ces deux styles témoignaient des migrations avant la traversée du fl euve ; seuls les grands initiés gardaient la signifi cation des symboles. Courtois n’a pas cherché à savoir, mais son oeil de collectionneur a tout bonnement constaté la puissance de ces objets. Quant au style III, bien que contemporain des autres au temps des premiers administrateurs, il apparaît plus récent à l’échelle d’une histoire des Kuyu. Sa pérennité est associée au succès de la danse dite Kébé-kébé. Lorsque Poupon la décrit en détail comme une simple séquence de la cérémonie du serpent Djo chez les Kuyu de l’Est, elle est déjà, à cette époque, autonomisée dans l’ouest du pays Kuyu sous la forme d’une performance. En se développant dans le pays Mbochi, elle est devenue le symbole identitaire de la cuvette du Nord-Congo-Brazzaville, tout en prenant le nom de la tête emmanchée qui la caractérise11. C’est pourquoi les kébé-kébé du style III sont synonymes d’art kuyu et mbochi. Après avoir mis les styles en contexte grâce aux fi gures tutélaires d’Alfred Poupon et d’Aristide


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