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HOMMAGE Seward Kennedy 1925–2015 Ma première rencontre avec Seward Kennedy remonte à la fi n de l’année 1988, quand j’ai commencé à travailler pour Bonhams à Londres. Nous sommes devenus amis peu de temps après. Nous partagions tous deux la même passion pour les objets ethnographiques, mais également pour l’atmosphère conviviale et l’esprit de camaraderie qui régnaient sur Portobello 152 Road les samedis matins. À l’époque, Seward achevait sa période de collectionneur vorace. Il avait pratiquement fait le tour de la question et estimait que la corne d’abondance était en train de se vider. Lorsque j’ai quitté Bonhams quelques années plus tard, Seward m’a dit que si j’avais un jour besoin d’objets à vendre, je pouvais l’appeler et il verrait de quoi il pourrait se séparer. Comme il habitait au coin de ma rue sur Gledhow Gardens à South Kensington, je pouvais passer chez lui quand bon me semblait. Je me souviens très bien de l’une de nos premières transactions. J’avais un client qui recherchait des fi gures ibeji, et Seward m’informa qu’il en possédait « quelques exemplaires ». Nous avons donc fi xé un rendez-vous et Seward est arrivé chargé de deux sacs remplis d’ibeji, peut-être une douzaine de paires en tout. Nous nous sommes mis d’accord sur les prix et, plus tard dans la soirée, mon client nous a rejoints. Comme les ibeji étaient d’excellente qualité et que leurs prix étaient raisonnables, il les acheta pratiquement tous. Le paiement fut rapide et Seward était satisfait. Je n’avais aucune idée du nombre d’ibeji qu’il possédait, mais lorsque ce même client est revenu à Londres par la suite, j’ai de nouveau fait appel à Seward qui, comme convenu, m’a proposé de nombreuses autres fi gures que je n’aurais aucun mal à vendre. Cela a duré plusieurs années… Au total, j’ai certainement dû vendre plus d’une centaine d’ibeji par son intermédiaire. Attiré également par les formes, les objets soigneusement façonnés et patinés, Seward appréciait notamment les massues polynésiennes et les bâtons à embout rond zulu. Son regard aiguisé lui permettait de déceler la valeur d’un objet au premier regard. J’ai largement profi té de son expertise lorsqu’il a appris mon intérêt pour les objets d’Afrique du Sud et mon intention d’investir une belle somme dans une collection. Presque chaque semaine pendant un an ou deux ans, il est venu chez moi pour me proposer plusieurs merveilleux bâtons de danse ou un sac de boîtes à priser le tabac. Il me disait parfois qu’il avait quelque chose de très spécial, mais qu’il me faudrait dépenser énormément d’argent pour l’acquérir. Il s’agissait invariablement d’un remarquable appui-tête nguni ou d’un bâton de prestige exceptionnel, et, même si cela me semblait cher à l’époque, le plaisir infi ni que me procuraient ces oeuvres me faisait rapidement oublier ces douloureuses dépenses. Originaire de Nouvelle-Angleterre, Seward avait été un brillant avocat et partageait son temps entre New York et Londres. Ce n’est que lorsqu’il a quitté son appartement de South Kensington pour s’installer à Notting Hill que j’ai pris conscience de l’ampleur de sa collection. Si l’expression « caverne d’Ali Baba » me vient immédiatement à l’esprit, elle est toutefois très loin de rendre compte de ce que j’ai vu la première fois que j’ai passé le seuil de sa porte. Des centaines, voire des milliers d’objets de toutes sortes et d’une qualité irréprochable s’entassaient presque jusqu’au plafond, remplissant les pièces et condamnant même l’accès à la chambre et aux toilettes (il n’habitait pas là à l’époque et ne faisait jamais visiter les lieux). J’étais complètement ébahi, d’autant plus que ma visite succédait à ses innombrables passages chez moi (et Dieu sait chez qui d’autre), lors desquels il était à chaque fois arrivé chargé comme une mule. Ce jour-là, je cherchais des massues d’Océanie et il s’est souvenu qu’il en avait quelques-unes, enfouies sous le lit, ce qui signifi ait que nous allions devoir d’abord vendre « un paquet » d’objets avant d’être en mesure d’y accéder. Environ un an plus tard, nous sommes fi nalement parvenus à nous frayer un chemin jusqu’au lit… pour y trouver, conservées dans des placards, un bon lot de massues fi - djiennes et tonguiennes, parmi les plus belles que l’on puisse imaginer. S’il a vendu de très nombreux objets, il n’a cependant jamais cessé d’en acheter, pratiquement jusqu’à sa disparition, fi n 2015. Seward était comme ça. Curieux de tout et insatiable. La défi nition même du collectionneur. Kevin Conru Avec l’aimable autorisation de Christie’s


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