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HISTOIRE D'OBJET guerrier. L’ornement de taille de Pakoko (fi g. 11) est l’exemple le plus saisissant de l’ensemble. Il est composé de cheveux de plusieurs ennemis et chacune de ses extrémités est garnie d’ivi poo, de petites fi gures humaines (tiki) sculptées dans des os humains. L’ensemble complet de ces décorations fait aujourd’hui partie de la collection du musée de la Castre à Cannes, la ville natale de Ginoux. DES OBJETS DE PRESTIGE DANS UNE ÈRE DE CHANGEMENT L’année 1844 s’achève dans un climat de tension à Taiohae. Les rapports entre Pakoko et Temoana avait changé et un nouveau chef militaire français, le lieutenant Almaric, était arrivé, se montrant méprisant, voire violent, envers les Marquisiens. Certains événements incitent Pakoko à opposer une résistance de plus en plus acharnée aux Français et fi niront par le conduire à sa mort5. Temoana avait accepté l’offre des Français de devenir « roi ». Dès cet instant, son mode de vie se rapproche de plus en plus de celui des Européens. Il reçoit là un salaire annuel, il fait bâtir une nouvelle maison qu’il remplit d’objets venus d’Occident et commence à se vêtir à l’européenne, notamment avec des tenues militaires (fi g. 8). Sa position est de ce fait fragilisée aux yeux des Marquisiens, et des hakaìki de rang inférieur se mettent à contester son autorité, dont Pakoko. Ce dernier a le plus souvent été représenté vêtu d’un costume traditionnel marquisien, bien qu’il apparaisse en uniforme militaire sur la fi gure 8. Deux portraits le montrent dans une tenue similaire. Sur le dessin réalisé à l’encre par Rohr (fi g. 13), Pakoko porte une cape en étoffe blanche sur les épaules et une sorte de coiffe en feuilles de palmier (fi g. 12) nouée derrière le cou. L’on remarque également des stries qui indiquent les importants tatouages recouvrant son visage et son corps. La scène de groupe de Max Radiguet montre Pakoko (fi g. 14) au centre tenant un tahii (un éventail de prestige), en compagnie de l’amiral Dupetit-Thouars à droite, et d’Iotete, hakaìki de Vaitahu au sud de l’archipel, à gauche. Radiguet 142 était le secrétaire de Dupetit-Thouars. Artiste de talent, il passa plus de six ans aux Marquises. Les tensions atteignent leur paroxysme en janvier 1845, lorsque Temoana, soutenu par Almaric, interdit aux femmes d’accéder aux bateaux mouillant dans le port. Cette décision provoque la colère de Pakoko et de beaucoup d’autres, car les échanges entre les femmes et les navigateurs permettaient d’obtenir des mousquets, de la poudre et d’autres marchandises importantes. Almaric fait arrêter vingt-six membres du clan de Pakoko, dont deux de ses fi lles, pour avoir bravé l’interdiction et nagé jusqu’aux bateaux. Les femmes sont placées en garde à vue et emprisonnées pendant deux jours. Le 28 janvier, alors qu’ils sont en train de laver leurs vêtements dans un ruisseau sacré, six soldats français sont attaqués par des hommes de Pakoko. Au moins cinq d’entre eux sont tués. Leurs corps sont ensuite transportés jusqu’à une meàe, une plateforme rituelle sacrée. Toutefois, les récits divergent quant aux faits exacts. Radiguet écrit uniquement que les six soldats ont été tués (Radiguet 1929 : 223-228), tandis que Ginoux rapporte que cinq militaires ont trouvé la mort6 et qu’on a retrouvé les corps, nus mais lavés et « vidés », suggérant que les organes internes avaient été enlevés et placés à proximité du four en terre sur la meàe, pour être cuits conformément à la tradition. Pakoko n’était pas sur les lieux à l’époque (Ginoux 2001 : p. 88). Dening avance, quant à lui, que les six soldats ont perdu la vie, que leurs corps ont ensuite été déplacés, nus comme des victimes heana, et que la tête d’un des militaires a été emportée à la meàe (Dening 1980 : 218-222). Après cette attaque, le chef guerrier prend la fuite. Les Français réagissent violemment et bombardent des villages situés sur les terres de Pakoko à Taiohae. Afi n de protéger son peuple d’autres représailles, ce dernier se rend aux autorités le 26 février et endosse la responsabilité de la mort des soldats. Condamné pour meurtre par un tribunal militaire, il apparaît le 21 mars pour l’énoncé du verdict et son exécution, plus tard dans la journée. Pour l’occasion, il porte une tenue d’apparat, les FIG. 11 (CI-DESSUS) : Ornement de taille. Nuku Hiva, îles Marquises. Début du XIXe siècle. Cheveux, os humains, tapa et fi bres tressées. Cadeau posthume de Pakoko à Edmond de Ginoux, 1845. Musée de la Castre, Cannes, France, inv. MCL 143. © Musée de la Castre, photo : O. Calvel.


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