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19 T. A. M. : Quelle est, à vos yeux, la principale contribution de l’ouvrage à la connaissance ? J.-L. D. : Souligner que les artistes baule, réputés pour leurs oeuvres raffi nées à l’élégance fl uide, étaient aussi les sculpteurs de ces fi gures brutales à la plasticité rébarbative. Le naïf en moi fut surpris que la laideur sale de ces pièces peu nombreuses ait attiré les faussaires, notamment un Belge… B. C. : Ce livre dénonce aussi l’usage impropre et récurrent du terme « gbekre ». Introduit par Maurice Delafosse vers 1900 pour désigner ces singes, et pourtant rejeté dans les années 1950, ce terme prévaut encore aujourd’hui dans la littérature et les mentions spécialisées. Une autre contribution importante de notre travail est l’identifi cation de plusieurs maîtres-sculpteurs au sein du corpus restreint de ces statues. T. A. M. : Quels ont été les retours les plus intéressants que vous avez reçus sur le livre ? J.-L. D. : Aussi bien certains experts en art africain que des néophytes nous ont dit avoir avaient lu notre livre de la première à la dernière page. B. C. : Pour ma part, j’ai été très sensible au commentaire d’Alain-Michel Boyer selon lequel nous avons prouvé qu’il est possible de contribuer à la connaissance de la culture baule sans une étude de terrain. Ce livre est plus qu’une analyse de statues en bois ; plusieurs chapitres explorent les modes de pensée et le contexte culturel de ces traditions éphémères. Et je suis heureux qu’un exemplaire du livre se trouve en Côte d’Ivoire, à la bibliothèque du musée d’Abidjan où il peut être consulté. T. A. M. : Quels sont vos objets préférés parmi les pièces qui ne se trouvent pas dans l’Africarium Collection... ? J.-L. D. : C’est pour moi la pièce en fi gure 6 (fi g. 99 du livre). Cette sculpture inspirée du babouin est inquiétante : elle dégage puissance, intelligence, et malfaisance. Elle a été façonnée avec un sens extraordinaire du détail, et sa patine révèle un usage prolongé. Les mouvement de la tête et la souple légèreté du corps la rendent encore plus dangereuse. B. C. : Mon choix est la fi gure 3 (fi g. 59 du livre). Si la tête quasi reptilienne de ce singe est atypique, sa patine et sa puissance sont la quintessence de ces statues. La force de ses mollets et de ses avant-bras continue de m’impressionner. Ensuite, je suis très sensible au singe fi gurant au dos du livre. Photographié in situ en 1978 par Susan Vogel qui l’a commenté avec précision, il a été récemment redécouvert dans une collection suisse. Il est très rare de connaître l’histoire complète de ces objets, et encore plus le nom précis qui avait été donné à l’oeuvre, ce qui est le cas de cette pièce ! T. A. M. : Et maintenant, vos objets de prédilection dans l’Africarium Collection ? J.-L. D. : Je suis attiré esthétiquement par les objets reproduits dans le livre en fi gures 91 et 93. Le premier, anthropomorphe, est très baule ; le second dégage une force intérieure intense. Je choisirais le singe de Jerry Vogel en fi gure 66 (fi g. 4) pour sa puissance brute typique de ces cultes. B. C. : J’aime la fi gure 63 du livre (fi g. 5), un singe très expressif sculpté avec un grand sens du détail. T. A. M. : Quelles limites voyez-vous à votre travail ? J.-L. D. : J’aurais souhaité approfondir davantage le rôle du singe dans l’art africain, un thème que nous n’avons que survolé. Et j’aurais rêvé de dépasser le cadre africain en explorant les expressions et similitudes des cultes des esprits par les objets. Mais c’est une autre histoire, comme l’avait dit Kipling. B. C. : À mon sens, il aurait été intéressant de compléter le livre par un catalogue raisonné. Mais l’expérience dans la peinture montre que cette initiative suscite plutôt un débat éternel sur ce qu’il aurait fallu y inclure et en soustraire.... T. A. M. : Que retenez-vous de cette expérience ? J.-L. D. : Ce livre est l’aboutissement tangible du chemin intellectuel parcouru ensemble. Il est aussi un bel objet, grâce à notre photographe Austin Kennedy et à notre éditeur, le Fonds Mercator. B. C. : Effectivement, c’est la consécration d’un travail passionné de trois ans. Nous n’imaginions pas où cette aventure nous mènerait, mais elle s’est révélée joyeuse et enrichissante. Nous avons, je pense, dévoilé au lecteur certains secrets de ces singes énigmatiques.


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