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image iconique, oeuvre d'un maître de la photographie. Les amateurs de ce type d’objet sortent du cadre habituel et du profi l historique des collectionneurs d'art africain. D'une façon certaine, le marché s'ouvre à d'autres horizons, de grands mécènes, des amateurs d'art venus de la peinture, de nouveaux musées en cours d'élabora tion. La vente Goldet en juin-juillet 2001 va frapper les esprits. Elle concentre tous les éléments précités : un mélange de qualité, de pedigrees, et la personnalité attachante d'un collectionneur hors norme, Hubert Goldet. Le plus notable, cependant, dans cette vente, c’est l’extraordinaire effort de marketing que le commissaire-priseur François de Ricqlès décida d'y consacrer. Le catalogue est, dans sa richesse, le premier du genre ainsi que l'exposition somptueuse à la Maison de la chimie à Paris. La couverture médiatique parfaite attira le ban et l'arrière-ban des collectionneurs du monde entier et une nouvelle classe d'acheteurs, venus de la grande bourgeoisie, séduits par les articles de presse dans les magazines people. On y vit pour la première fois les grands chevaliers de l'industrie regarder l'art nègre ! Le célèbre reliquaire ambete de René Rasmussen, collecté dans les années vingt par Aristide Courtois au Congo français, fut cette fois adjugé plus de quatorze millions de francs à la fi lle de Joseph Mueller, Monique Barbier-Mueller. Un retour sur l'histoire puisque son père avait acheté plusieurs objets Courtois par l'entremise de Charles Ratton. Cinq ans plus tard, comme s'ouvrait à Paris le musée du quai Branly, eut lieu la vente Vérité ; le franc ayant laissé la place à l'euro les prix furent au rendez-vous. En cinq cent quatorze lots et trois vacations, la vente totalisa quarantequatre 52 millions d'euros. Du jamais vu : du plus petit lot au plus grand les enchères fl ambèrent. Ici encore, nombre de pièces avaient des provenances historiques, de Carl Einstein à Paul Guillaume ou Aristide Courtois. Le secret qui entoura cette collection, initiée vers 1930 par Pierre et Suzanne Vérité et poursuivie par leur fi ls Claude et son épouse Janine, excita les esprits. Les objets bien que souvent publiés, par exemple dans l'Elisofon ou le Laude*, n'avaient plus été montrés depuis les années cinquante. On ignorait ce qu'ils étaient devenus. Rares étaient ceux qui savaient que ce trésor dormait chez les Vérité non loin de Paris, des amateurs discrets fuyant les honneurs et les média. En effet, contrairement à un marchand fl amboyant comme Charles Ratton, homme public à l'infl uence internationale, avec lequel ils furent souvent en compétition, les Vérité ont préféré l'ombre protectrice d'une banlieue bourgeoise pour se délecter en famille de leurs collections. Pierre Vérité, artiste peintre, à l'instar de Brummer, Bondy et Ascher, abandonna très vite ses pinceaux et son atelier de La Ruche, renonçant à une carrière d'artiste ; et puis ces Africains avaient tant de talent, autant se consacrer totalement à eux. Ainsi vit le jour la galerie Carrefour à Montparnasse grand pôle d'attraction africaniste, un moyen de gagner sa vie, mais plus encore de constituer une collection hors norme en se servant à la source même. Vérité père et fi ls ne sont pas des marchands banals : ils vont collecter sur le terrain en Afrique, photographient les objets en place, parcourent les ventes en France et en Europe, chinent partout. Ils sont aussi maîtres des « arrivages » des années d'après-guerre, lorsque les antiquaires africains prennent leur destin en main et débarquent à Paris leurs cantines pleines d'objets : des Dogon, des Bambara, des Baulé, des Baga… Le collectionneur suisse Joseph Mueller a un droit de première vue ! Voilà enfi n que tant de patience et de secrets presque centenaires sont livrés aux enchères, aux feux de la rampe. Si le marketing de la vente Goldet fut innovant, celui de la vente Vérité le fut plus encore, en moins bourgeois peutêtre : on vendait à Drouot, le temple populaire des enchères, métamorphosé pour l'occasion par une scénographie spectaculaire. Pour le reste rien à envier, tout le monde était là, dont une cohorte de profanes se bousculant pour admirer la « Joconde africaine », une absurde comparaison mais qui marquait les esprits ! People et bobos, collectionneurs du plus fortuné au plus modeste : chacun espérant avoir sa chance, car sur tant de lots, il y aurait bien un « trou » quelque part ? Erreur, tout se vendra au plus haut. Discrètement des musées furent à la manoeuvre à de hauts prix, phénomène nouveau, bien que le masque ngil leur échappât : il resta en France et vint orner un À DROITE : Vue du lot 193 de la Vente Vérité. Ce masque ngil (Fang, Gabon) fut vendu pour la somme record de 5,6 millions d'euros lors de la vacation du samedi 17 juin 2016. © Boris Veignant. MARCHÉ de l'art


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