Page 132

T80F

gravée dans une grotte de Gibraltar est l’unique création plastique connue de l’homme de Néandertal. P. T. : La peinture, une vocation ? Et l’écriture, l’enseignement ? G. M. : J’aime peindre et écrire, c’est ce que je sais faire. J’exécute mes propres ordres. Je ne me serais soumis à aucune autorité. L’enseignement m’a épargné de devoir vendre à tout prix, sans que personne me force à tenir un discours autre que celui que ma vie m’apprenait. L’essentiel de mes études traitent d’arts traditionnels d’Afrique subsaharienne et d’Asie. Mes écrits plus confi dentiels les confrontent avec nos arts moderne et contemporain, débattent 130 de l’enseignement artistique, de l’art des femmes, d’oeuvres d’artistes enfants, de la marginalité des créateurs ou d’exploits d’artistes handicapés mentaux. J’ai commenté quelques contemporains. Je m’intéresse à l’oeuvre qui affi rme le lien entre animalité et devenir humain par-delà la faille du langage qui nous dédouble, partagés entre nature et culture. L’oeuvre se suffi t de silence dans la poétique de l’action spatiale. Faute d’un tel accomplissement j’en apprécie la tentative, je m’attache aux vécus authentiques. Je tente de dire comment fonctionne ce que j’ai sous les yeux. L’écriture me détend de l’effort pictural et me fait réfl échir. Mon opinion a enrichi ceux qui ont su l’exploiter. Mes livres présentent la vision d’un artiste. Je suis intéressé par l’émergence d’oeuvres actives, rares parmi le nombre d’artefacts inertes, notamment produits par des cultures au sein desquelles chacun crée. Mes détracteurs adhèrent au courant de pensée actuel qui renonce à distinguer l’oeuvre du simple artefact. Ce courant, selon lequel la signifi cation serait la raison d’être de l’art, est caractéristique d’une époque qui crée peu, qui ne laissera quasiment rien. Les arts d’Afrique noire m’ont ouvert à une esthétique nouvelle, scientifi que, dont l’analyse complète les deux registres auxquels on s’est long- FIG. 10 (CI-DESSUS) : Cuiller. Boa, région de l’Ubangi, RDC. Bois. H. : 30 cm. Ex.-coll. Sergel Schoffel. Photo : Bernard De Keyzer.. FIG. 11 (EN BAS) : Statuette. Néolithique saharien, vallée d’Azawak. 5000 - 4000 av. J.-C. Silex. H. : 12 cm. Photo : Bernard De Keyzer. temps tenu, celui des formes et celui de la signifi cation, par un registre des forces résultant de la mise en oeuvre effective des divers facteurs constitutifs de l’artefact. P. T. : Le contexte, l’usage, la signifi cation des pratiques collectives sont donc également essentiels à la compréhension des oeuvres en général, et en particulier de celles qui émergent au sein des cultures autrefois dites « primitives ». G. M. : Tout cela est essentiel à l’anthropologue, au sociologue ou au critique d’art, pas à l’amateur ou à l’esthéticien. D’abord ressentir et éprouver, puis se cultiver si l’on veut. Le sculpteur africain doit produire un objet effi cace, dont le commanditaire ait la conviction qu’il fonctionne. C’est en puisant dans sa propre aptitude à percevoir que l’artisan y parvient, outrepassant le simple savoir-faire, certes nécessaire mais qui n’est pas le moteur de l’activité de l’oeuvre. Ce à quoi la société traditionnelle reconnaît le pouvoir de s’imposer aux gens est précisément cette activité qui me fait distinguer l’oeuvre de l’artefact. Qu’on y greffe un sens magique, religieux ou autre, qu’importe du moment qu’elle s’effectue. L’humanité crée des objets dotés de ce pouvoir. Ce sont ceux qu’elle conserve. L’artiste agit sur tout ce qui a une peau en nous, par exemple nos boyaux. Nos nerfs sont connectés en réseau dont la sensibilité nous envoie un unique message – oui ou non, adhésion ou refus – en réaction par exemple au spectacle d’un paysage naturel qui n’est que ce qu’il est, ni beau ni laid. Ce message est ensuite expliqué par l’intellect en fonction de notre expérience de tout ce qui peut être connoté semblablement et des leçons qu’on en a tirées. Il y a une part existentielle dans cette interprétation et une part culturelle apprise. Notre réaction est biopsychique, bio par réponse positive ou négative de notre infrastructure nerveuse globale et psychique par l’explication qu’en donne notre intellect. * Notamment : Shoowa Design. African Textiles from the Kingdom of Kuba. Thames & Hudson, Londres – New York 1986, 1987, 1995 / Abstractions aux Royaumes des Kuba, Paris : Fondation Dapper 1987 / Shoowa Abstraktionen. Textilkunst aus dem afrikanischen Königreich Kuba. Stuttgart : Hansjörg Mayer Edition 1988. Traumzeichen – Raphiagewebe des Königsreichs Bakuba, Einführung Angelika Tunis. Munich : Verlag Fred Jahn / Berlin : Haus der Kulturen der Welt 1989. « Ton – und Holzskulpturen aus Nordost – Tanzania / Die Bildhauerkunst der Nyamwezi » dans Tanzania – Meiste- PERSONNALITÉ


T80F
To see the actual publication please follow the link above