Page 99

•TribalPaginaIntera.indd

Le pangolin dans l’art africain FIG. 8 (CI-DESSOUS) : Écailles de pangolin sur lanières de cuir. Tschokwe, Musho, Angola. Longueur des écailles : 6 cm. Museu do Dundo. Dessin d’après Heintze 2002 : 214f, pl. 584. FIG. 9 (CI-DESSOUS) : Initiés avec des coiffes imitant la tête d’un pangolin. Komo, R. D. Congo. Photo : Wauthier de Mahieu. D’après Wauthier de Mahieu, Qui a obstrué la cascade? Analyse sémantique du rituel de la circoncision ches les Komo du Zaïre, éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 1985. 97 croyance veut qu’une décoction d’écailles moulues mélangées à du maïs et de l’aloès facilite la naissance si elle est ingurgitée par des femmes enceintes ou versée sur leur corps, en supposant que le liquide s’écoule jusqu’à la vulve. Cette mixture peut également être versée dans des trous afi n de protéger un champ d’éventuels voleurs. Utiliser le pouvoir tiré des écailles d’un pangolin peut toutefois s’avérer risqué. Si une personne pénètre sur son propre champ alors qu’elle a touché le même jour une écaille ou un morceau d’os de pangolin, les grains de maïs pourraient tomber des épis durant la récolte (communication personnelle, Marbod Kinunda, Utiri, 2007). Dans d’autres régions, les écailles peuvent être utilisées sans crainte. Tel esl le cas chez un groupe tshokwe du sud de l’Angola, où les mères qui allaitent portent des fi celles de cuir ornées d’écailles de pangolin (fi g. 8) autour de la poitrine pour stimuler la montée de lait (Heintze 2002 : 214f). À certains endroits, les aspects dangereux ou néfastes semblent avoir pris le dessus. Les Komo de république du Congo évitent tout contact avec le pangolin géant car le fait de toucher ne fût-ce qu’une écaille est considéré comme néfaste. À l’instar du crocodile nain, le pangolin est l’un des animaux les plus craints pour ses pouvoirs malfaisants. Si, par inadvertance, l’un de ces animaux est tué, son cadavre doit alors être transporté chez le « gardien des rites » de la région, qui le dépose à côté du poteau central de sa maison et neutralise ses pouvoirs magiques en le fumant à l’aide de certaines plantes fraîchement recueillies et brûlées. Au cours de l’initiation des garçons, leur connaissance des dangereux pouvoirs du pangolin et du crocodile est approfondie au moyen de rituels spéciaux : le « gardien des rites », seule personne à pouvoir prendre une écaille de pangolin en main, trempe celle-ci dans du kaolin et s’en sert comme d’un couteau à palette afi n de tracer des lignes droites sur le corps des garçons. Cette représentation de la structure d’une écaille s’accompagne d’une combinaison symbolique des deux animaux redoutés : les garçons utilisent la peau du crocodile pour confectionner des chapeaux coniques rappelant la forme de la tête et de la queue du pangolin. Le sommet pointu est ouvert afi n d’accueillir une plume d’oiseau destinée à représenter la langue du pangolin (fi g. 9). Autour des jambes, les garçons portent de larges bandes décorées avec des enveloppes de graines séchées, les sabé, qui s’entrechoquent lorsqu’ils marchent et dansent, évoquant ainsi le son émis par les écailles du pangolin (Mahieu 1995 : 200f, 205, 288). Cependant, cette visualisation rituelle de l’animal n’est pas uniquement associée à l’initiation. Lors du décès d’un homme extrêmement respecté, ses proches portent des vêtements identiques et marchent à quatre pattes, comme s’ils étaient à la recherche du défunt. L’un d’eux imite le pangolin et, en exécutant des mouvements hésitants, monte sur le cadavre, du côté des pieds, comme si le pangolin voulait avaler le défunt (Mahieu 1980 : 95, 98 f. ; 1995 : 288 f.). D’un autre côté, les Lega (R. D. Congo) considèrent le pangolin comme un animal « sage », « plus grand que l’éléphant », une sorte de héros culturel qui apprit aux hommes comment construire les toits de leurs maisons en s’inspirant de son dos recouvert d’écailles8. Lors des cérémonies du bwami, les membres de cette société emploient différentes parties du corps du pangolin (aussi bien le pangolin à petites écailles que le pangolin géant) selon leur grade (Biebuyck 1973 : XIX, 75, fi g. 91). Pour les Lega, un « couteau-pangolin » est une possession rituelle du plus haut dignitaire. On l’utilise pour tuer, dépouiller et découper certains animaux qui sont protégés et ne peuvent être abattus que par son intermédiaire. La viande est ensuite distribuée en fonction d’un système complexe. Toutefois, un rituel supplémentaire doit encore avoir lieu après, interprété dans la description comme un rite de purifi cation (Biebuyck 1953 : 908 ; 921-924 ; 1973 : 95f, 98f.). Le patriarche localise le pangolin avec le frère de la mère, puis les fi ls de la soeur sont chargés de tuer les animaux sacrés et de distribuer la viande lors du festin de la société bwami (Lewis 1991 : 519). Toujours en R. D. Congo, mais chez les Hamba cette fois, la prestigieuse société nkumi et le pangolin géant sont étroitement liés. Seuls quelques initiés, les chefs de clan par exemple, ont le droit de consommer de la viande de pangolin rituellement au cours de cultes célébrés dans des lieux secrets. Lors de ces festins, le cadavre de l’animal (fi g. 10) est présenté sur une planche en bois (Heusch n.d. : 8 ; Heusch 1985 : 32f.). Les Bushong de R. D. Congo considèrent traditionnellement le grand pangolin terrestre comme l’un des animaux qu’il convient d’apporter au roi s’il est abattu par des chasseurs, car il incarne des forces spirituelles et des symboles de royauté et de fertilité (Vansina 1964 : 109f.). Les recherches de Mary Douglas sur les Lele du sud de la R. D. Congo indiquent que la réputation et le prestige social d’un homme sont en grande partie déterminés par sa position dans la société des « hommes-pangolins ». Les membres haut placés de cette société disposent de privilèges (par exemple, ils peuvent manger de la viande de pangolin à petites écailles) et sont autorisés à pratiquer la divination. Les hommes qui ont prouvé qu’ils entretenaient un lien particulier avec le pangolin en devenant pères de jumeaux FIG. 10 (CI-DESSOUS) : Pangolin abattu. Hamba, R. D. Congo. D’après Luc de Heusch, Vie quotidienne des Mongo du Kasai, Exploration du Monde, Bruxelles, ND (est. 1955).


•TribalPaginaIntera.indd
To see the actual publication please follow the link above