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DOSSIER 96 dite de l’oracle. Le pangolin se trouve au centre et les objets qui vont lui être présentés (nourriture, outillage agricole, armes) sont éparpillés sur le sol. Le tableau est dominé par le grand tissu blanc qui sera placé en dessous de l’animal. Derrière lui se tient le devin, débordant de joie, un hochetcalebasse dans chaque main. Le tissu est maintenu par deux anciens agenouillés, un homme barbu et une femme. Une peinture à l’huile d’auteur inconnu créée aux alentours de 2000 représente, elle aussi, le moment précédant le début de la consultation (fi g. 7). Ici, l’animal se trouve sur le sol à côté d’un tapis accueillant les objets préparés pour le rituel et sur lequel il sera placé. Juste à côté du pangolin, un personnage assis tient une louche à bière. Il pourrait être un vénérable ancien, ce qui laisse penser que l’individu qui danse à sa gauche, muni de deux hochetscalebasses, serait le devin. La cérémonie de divination se déroule manifestement dans une ambiance de fête. Un élément frappant de la cérémonie est l’utilisation d’une surface de rituel (un tissu rectangulaire ou un tapis ovale) sur laquelle est placé le pangolin, comme souligné par Livigha et illustré par les artistes contemporains. Les objets entre lesquels l’animal doit « choisir » sont répartis en petits tas autour de cette surface. L’activité divinatoire du pangolin consiste à se diriger vers l’un de ces tas, à le toucher ou à grimper dessus. Les objets représentent des facettes importantes de la vie en communauté. Si leur fonction est évidente dans le cas des produits et des outils agricoles, elle l’est moins en ce qui concerne les armes. Elles symbolisent les confl its au sein du clan, avec un village voisin ou avec un employeur. Une chèvre est peut-être le signe d’une augmentation du nombre d’animaux domestiques, tandis qu’un enfant sera considéré comme annonciateur d’un grand nombre de naissances ou de maladies infantiles. L’un des principes de base de la cérémonie divinatoire est que l’animal reste en vie et est relâché à la fi n du rituel. Tuer un pangolin aurait des conséquences désastreuses comme une sécheresse, un incendie, une épidémie ou encore la mort d’un enfant. Néanmoins, dans cette région, les écailles, les griffes, les os ou les queues de pangolins servent à confectionner des substances médicinales ou des amulettes, mais tout serait apparemment prélevé sur des pangolins retrouvés morts dans la brousse. L’importance de ne pas tuer de pangolin a été expliquée à Uta Reuster-Jahn par une personne très âgée de la ville de Nachingwea dans la région de Mwera (communication personnelle, 2008). Cependant, une seule écaille, et seulement une, peut être prélevée sur un pangolin vivant, à condition de demander d’abord la permission à l’animal. Si le pangolin manifeste son accord, on peut alors lui retirer une écaille pour autant que cela n’implique aucune violence. AUTRES RÔLES DU PANGOLIN EN AFRIQUE Dans la littérature africaniste, le pangolin est cité dans des contextes où il est question de zoologie et d’ethnographie. On le retrouve également au coeur de rituels ou de coutumes très codifi ées. Les pangolins, tout comme les lions, les léopards et certains types d’antilopes, détiendraient des pouvoirs magiques4. Il s’agit du « pouvoir de la vengeance », pour lequel Hermann Baumann a utilisé le terme bantu nyama5. Même après la mort de l’animal, ce pouvoir demeure actif et se révèle dangereux pour les chasseurs. Alors que le pangolin est protégé par les peuples Ruvuma et leurs voisins, il est parfois tué dans d’autres régions. Souvent, un seul et même groupe utilisera le pangolin à des fi ns différentes, comme cela est avéré chez les Sukuma du nord de la Tanzanie. La découverte d’un pangolin par deux enfants fut à l’origine d’une grande joie collective (Wright 1954 : 71). Accompagnés de leur père, ils allèrent voir le chef, qui fi t abattre deux chèvres et donna de l’argent au père, pendant que sa première épouse recouvrait le pangolin de beurre et de farine de millet. Ensuite, l’animal fut tué au moyen d’un bâton pointu enfoncé dans son corps par l’anus, ce qui nécessita les efforts conjoints de plusieurs hommes. Le pangolin empalé fut disposé devant l’entrée du kraal, probablement en guise de protection pour les animaux domestiques. Une fois le corps totalement décomposé, il fut brûlé et les cendres, placées dans un pot que l’on déposa dans la maison du chef. De temps à autre, de la cendre était jetée dans le feu afi n de protéger (par l’odeur) les bergers des lions6. Un pouvoir apotropaïque similaire – en particulier contre les serpents – est également attribué aux écailles seules, portées autour du cou ou aux jambes7. En 1980 environ, Martin Walsh et Jaques Bilodeau ont se sont intéressés à la signifi cation rituelle du pangolin parmi les Sangu dans le nord-ouest de Tanzanie. Ils ont compilé des témoignages rapportés plutôt que des observations directes. Selon les traditions sangu, le pangolin est tombé du ciel sur la terre, envoyé par les ancêtres. On raconte qu’il détient le pouvoir de favoriser la fertilité chez les humains et ce pouvoir est associé à un rituel vraisemblablement similaire à celui qui se déroule lors de la naissance de jumeaux. À la fi n du rituel, qui peut durer plusieurs jours, l’animal est tué et enterré dans un trou creusé dans la terre, « reposant » dans une peau de mouton ou enveloppé d’un tissu noir (Walsh 1995 : 155f, 157-161). Au sud-ouest de la Tanzanie, dans la région peuplée par les Matengo, il n’y a plus de pangolins en raison de la déforestation presque totale des terres, mais les anciens possèdent toujours des écailles ou des morceaux d’os qu’ils utilisent pour se protéger des lions et des serpents venimeux lorsqu’ils voyagent ou travaillent dans la brousse. La FIG. 7 (CI-DESSUS) : Artiste inconnu, oracle par le pangolin, Mwera-Makonde, Tanzanie, 2001. Peinture. 60 x 50 cm. Collection privée. Photo : Maria Kecskési.


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