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contacts avec la société occidentale, et, en l’espace d’une journée, les journaux régionaux s’emparèrent de l’histoire du « Sauvage » qui avait été « capturé ». Ces gros titres attirèrent l’attention du professeur Alfred Kroeber de l’université de Californie, un passionné d’anthropologie qui vit dans l’existence de cet indigène « non contaminé » une opportunité de consigner des connaissances condamnées à être perdues à jamais. L’associé de Kroeber, T. T. Waterman, se rendit à Oroville et découvrit que l’homme réagissait à des mots de la langue yana parlée par un groupe décimé des montagnes de l’Ouest qui avait vécu au nord d’Oroville. Un homme de langue maternelle yana, Sam Batwi, fut sollicité comme interprète et l’on arriva à la conclusion que l’homme découvert était le dernier survivant d’un petit groupe yana appelé Yahi, qui avait été décimé en 1865, 1866 et 1871. Le camp de l’homme en question, situé près de Mill Creek, avait été saccagé par des chercheurs d’or en 1908, entraînant la mort ou la disparition de ses compagnons d’infortune, dont sa mère et sa soeur. L’ampleur de la découverte de ce camp avait été telle que Waterman avait été envoyé dans la région en 1910 afin de localiser ses habitants, mais n’avait pu établir le moindre contact. Sous l’autorité du Bureau des affaires indiennes, le 4 septembre 1911, Waterman libéra l’homme, jusqu’alors détenu par le shérif local, et l’amena au musée d’anthropologie situé sur le campus de la University of California’s Associated Colleges à San Francisco, où il allait passer la majorité du reste de sa vie. Les traditions yahi interdisant à un individu de prononcer son propre nom, il fut baptisé Ishi, terme anglicisé du mot yana / yahi signifiant « homme ». On lui attribua la fonction symbolique de gardien du musée, mais il passa le plus clair de son temps à informer ses hôtes sur sa culture, sa langue et ses traditions. Le week-end, il se livrait à des démonstrations de ses pratiques culturelles. L’allumage d’un feu et la fabrication de pointes de projectile suscitèrent rapidement l’attention du public, ce qui se traduisit par l’afflux de milliers de visiteurs au musée. La situation d’Ishi au musée était pour le moins ambivalente. Si les observateurs modernes y ont vu une forme d’exploitation, Kroeber et Waterman avaient manifestement l’impression qu’Ishi collaborait de son plein gré, parce qu’il reconnaissait l’importance de contribuer à préserver sa culture. Bien que Waterman et Kroeber n’aient pas hésité à présenter Ishi au public, les écrits de ces derniers révèlent qu’ils voulaient éviter de le transformer en un spectacle comme cela avait été le cas avec le Pygmée africain Ota Benga. Les deux hommes ont même parfois tenté de s’opposer à des articles à sensation relatant le comportement du « dernier Indien sauvage » faisant régulièrement la Une jusqu’à sa mort. Aussi imprécise fûtelle, la célébrité d’Ishi fut en partie alimentée par le fait qu’il n’était pas confiné mais allait et venait en ville à la vue de tous, appréciant particulièrement le tramway, les ferries et explorer la forêt jouxtant le musée. Il était en général perçu comme quelqu’un d’une extrême gentillesse et Waterman évoqua dans ses écrits sa « courtoisie, innée et témoignant d’une grande profondeur d’âme ». Sans cesse sujet d’étude, victime de préjugés et de commentaires dégradants, Ishi noua cependant de véritables amitiés, en particulier avec le chirurgien Saxton Pope, avec qui il partageait une passion pour le tir à l’arc. En 1914, FIG. 5 (CI-DESSOUS) : Le Affiliated Colleges sur le Parnassus Heights, San Francisco. Avec l’aimable autorisation de la UCSF.


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