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110 Dans ce contexte fut conçue une exposition spéciale de divers objets ethnographiques prêtés par des collectionneurs privés, notamment ceux d’André Krajewski (1886-1921) qui les avait recueillis au cours d’un voyage dans les mers du Sud en 1908-1909 et plus particulièrement aux îles Marquises. Augmentée de quelques pièces du musée, elle fut mise sur pied par le futur conservateur Théodore Delachaux dans une maison particulière (Centlivres 2006 : 144 et 146) sise 16, rue du Bassin16.. Les procès-verbaux conservés dans les archives du MEN révèlent que Van Gennep, après avoir établi le premier et seul Guide du Musée (1914) jamais réalisé, avait suggéré lors d’une séance de commission la mise sur pied d’une telle présentation, faisant miroiter des objets d’exception17. Si l’adresse parisienne d’André Krajewski fi gure bien dans le carnet de Van Gennep qui dévoile son vaste réseau de contacts, leur rencontre ne peut être précisée. Il n’est nullement impossible qu’elle ait dépendu des liens polonais de Van Gennep, qui avait enseigné le français à Czestochowa – alors sous domination russe – entre 1897 et 1901. Ce dernier comptera d’ailleurs en 1913, au nombre de ses étudiants immatriculés à Neuchâtel, Bronisław Piłsudski, éminent spécialiste des Ainu de Sakkhaline et frère aîné du célèbre maréchal. Le Répertoire biographique de la Polynésie française (O’Reilly et Teissier 1975 : 296-297) fournit une notice sur ce personnage haut en couleurs18, assez fl ambeur et peu dévoré de scrupules19. De nationalité russe, issu d’une famille de sucriers polonais, il aurait parlé sept langues, possédé une écurie de course à Paris où résidait sa mère, Sophie, dans le salon de laquelle était accrochée une toile de Gauguin20 et, après plusieurs voyages autour du monde, développé des affaires commerciales à Tahiti, ouvrant une banque qui, après la guerre, émettra ses propres billets. D’abord réservée aux seuls congressistes, la présentation est furtivement ouverte au public neuchâtelois intéressé. Le déclenchement de la Grande Guerre deux mois plus tard, brisant les contacts européens et verrouillant les frontières, bloque la collection de Krajewski, engagé dans la légion étrangère. Les délais douaniers21 étant échus, une correspondance s’échange avec le poste des Verrières où il apparaît que Van Gennep, jusqu’à son expulsion de Suisse en octobre 1915 (Centlivres 2005 : 139-142 ; 149-151), est considéré comme le responsable de l’emprunt. La paix revenue, sitôt démobilisé André Krajewski, qui habite alors à Paris, 31, rue François Ier dans le 8e arrondissement, non loin des Champs-Elysées, presse au règlement de ce dépôt forcé, placé provisoirement dans les « vitrines vides de l’ancienne salle Europe » (Rapport des musées pour l’année 1914, p. 4). Impatient de repartir pour Tahiti, ce brasseur d’affaires – qui mourra deux ans plus tard à trente-cinq ans – envoie lettre sur lettre au conservateur, Charles Knapp (1855-1921), puis télégraphie pour qu’une solution soit trouvée. La recherche en archives butte sur l’existence de deux listes dactylographiées en français qui ne se correspondent pas. Leur analyse a établi que la plus complète – que nous avons baptisée A – est celle d’origine, soit celle des objets prêtés pour l’exposition. L’ensemble du lot, tel qu’il fi gure sur cette liste A, représente cent vingt-huit numéros d’inventaire22 que la commission du musée acquiert en totalité pour une somme de 22 500 FF (soit 16 376 francs) avancée dans l’urgence par la Commune. Pour compenser ce découvert, les responsables devront donc se résoudre à réaliser les objets considérés alors « à double ou à triple », afi n de pouvoir garder les meilleurs, vente qui aura lieu le samedi 22 novembre 1919. Compliquant notre recherche, Krajewski avait conservé quelques colliers hors liste qui entreront en 1914 au musée comme « Don de MM. Krajevsky sic et van Gennep »23, de même que le musée de Saint-Gall possède un collier entré en 1915 comme « don Van Gennep »24. Cette liste A est reprise partiellement et avec une numérotation différente en une nouvelle liste B également dactylographiée de quatre-vingt-huit numéros qui doit avoir été établie en vue de la vente d’une partie du fonds et porte des annotations au crayon correspondant à des aliénations25, conjointement à des estimations chiffrées. Lors de la vente publique du 22 novembre 1919, des pièces sont en effet acquises par les musées de Bâle (quatorze numéros)26 et de Genève (neuf numéros)27. Il ne paraît pas y avoir eu d’autres amateurs28 et le succès n’est guère au rendez-vous puisqu’elle ne rapporte que 1 317 francs selon les PV de la commission réunie en séance le jeudi 26 février 1920 (p. 105). Or le document A présente, généralement au crayon bleu, des suscriptions « Londres » ou « L » qui pouvaient d’abord faire croire que tous les objets listés n’étaient pas arrivés à Neuchâtel – puisque Krajewski avait gardé des pièces par devers lui – et que certains auraient pu se trouver – telle avait été la première hypothèse formulée – par exemple et pourquoi pas au British Museum : il n’en est rien. Derrière cette annotation se cache en réalité le célèbre marchand et collectionneur W.O. Oldman (1879- 1949) (Kaehr et Caligiuri 2007 ; Waterfi eld et King 2006 : 64-77)29. Malgré leur méconnaissance linguistique mutuelle30, fi n 1905 un premier contact sans suite avait été établi avec Oldman par Charles Knapp, le conservateur fraîchement nommé du nouveau musée inauguré en 1904. Après FIG. 7 : André Krajewski par J. L. Saquet. D’après O’Reilly et Teissier 1975 : 296. FIG. 8 : Un billet émis en 1920 par la Banque André Krajewski. Garry Saint, Esquire 1999-2008. © Numismondo Internet.


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