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ou de triplés sont admis dans la société. Contrairement au léopard, considéré comme un sorcier malfaisant, le pangolin est l’ami de l’homme et, à ce titre, apporte la « fertilité » en favorisant la procréation et la naissance. D’après Mary Douglas, il ne s’agit pas d’une aide magique apportée par l’animal, mais d’une manifestation de son essence. Spécialiste 98 des Lele, Douglas a démontré que le « culte du pangolin » jouait un rôle central et déterminant dans la vision du monde de ce peuple, en évoquant les « anomalies » qui unissent les opposés : un mammifère qui ressemble à un poisson (les écailles), mais aussi à un oiseau puisqu’il peut vivre sur terre et dans les airs (en haut des arbres), ainsi que dans l’eau. La frontière entre brousse et village (la nature et la culture) est également franchie, tout comme celle qui sépare les catégories d’esprits. En outre, la différence entre l’homme et l’animal s’estompe, car le pangolin est le seul mammifère à ne porter qu’un seul petit à la fois, comme les femmes en général. Le pangolin constitue dès lors une métaphore universelle de ce qui « parvient à unir toutes les choses qui s’opposent, ce qui est une source de pouvoir pour accomplir le bien ». Sa nature divine se refl ète dans « l’apparente soumission volontaire de l’animal face à la mort », car « comme le bélier d’Abraham dans le fourré et comme le Christ, le pangolin est désigné comme une victime consentante » (probablement à cause de la passivité de son mécanisme d’autodéfense). « Il n’est pas capturé, mais arrive lui-même dans les villages », étant donné qu’on le trouve généralement par hasard (Douglas 1966 : 198-210 ; 1975 a : 47-62 ; b : 259-272). Des décennies durant, Douglas n’a cessé de décrire ces aspects et d’autres du « culte du pangolin » dans de nombreuses publications. Lorsque Ioan Lewis (1991) a qualifi é les conclusions de Douglas de purement spéculatives et a critiqué le manque de preuves ethnographiques, Douglas a expliqué son interprétation du symbolisme du pangolin dans le cadre d’une « synthèse » (Heusch, Douglas, Lewis 1993 : 162). Les Tabwa de République du Congo disent que « le roi des animaux n’est pas le lion, mais le pangolin ». Un médium a raconté à Allen Roberts que son bandeau de perles portait le nom de Pangolin, non seulement en raison du motif triangulaire évoquant les écailles d’un pangolin, mais également de l’amas d’écailles de pangolin fi xé sur son front. Cet amas est censé protéger le « siège de la prophétie » et éloigner les mauvais esprits et les sorciers des pratiques divinatoires (Roberts 1995 : 83). Les nombreux concepts liés au pangolin ont été complétés au royaume de Bénin par une association à des traditions guerrières. Les guerriers étaient impressionnés par l’armure que formaient les écailles de l’animal. Ils en comprirent le sens à partir du XVIe siècle en voyant les cottes de mailles des soldats portugais. À cet égard, les images de l’oba Ozolua « le conquérant », qui régna de 1481 à 1504 environ, sont instructives. On raconte qu’il était extrêmement belliqueux et qu’il portait une longue tunique de protection en fer, rappelant les cottes de mailles des Portugais9. Le vêtement avait été abondamment recouvert d’écailles de pangolin (fi g. 11), incontestablement celles d’un Manis tricuspis (Blackmun 2007: 164f. ; Plankensteiner 2007 : pl. 219, 220S. 438f.). Néanmoins, les caractéristiques du pangolin servaient essentiellement d’attributs, non pas du roi lui-même, mais de certaines personnalités de haut rang. Ainsi, les chefs de Benin City portent encore des vêtements et des chapeaux coniques fabriqués en fl anelle rouge lors des festivités annuelles igue (fi g. 12). Dans les deux cas, le tissu est cousu sur une base où des bandes en zigzag superposées reproduisent l’aspect des écailles du pangolin (Plankensteiner 2007 : 97, 127, 357). Ce n’est qu’au XXe siècle que les vêtements d’origine, confectionnés en véritables écailles et peaux de pangolin, ont été remplacés par des costumes en fl anelle rouge importée (Ben-Amos 1976 : 245 ; 1980 : 73 ; Ben-Amos Girshick 1995 : 98f. ; Plankensteiner 2007 : 127). En défi lant, les dignitaires de la ville lèvent leurs épées eben en guise de salut cérémoniel. Leur costume symbolise une menace, mais le cérémonial de l’épée levée exprime leur loyauté envers le roi (Nevadomsky et Airihenbuwa 2007 : 127f.). Bien qu’elle n’implique que deux individus, cette scène est représentée sur une plaque de bronze en relief du XVIIIe siècle (fi g. 13). Selon des informateurs, dans l’ancien royaume de Bénin, le léopard était considéré comme une métaphore du roi et le pangolin comme une métaphore des chefs des villes, parce que le léopard est incapable d’attaquer un pangolin roulé en boule et que seuls les chefs des villes peuvent se dresser contre le roi. « Le pangolin est le seul animal que le léopard ne peut tuer » (Ben-Amos Girshick 1995 : 98). Les Lobedu du nord du Transvaal possèdent des traditions offrant un autre exemple signifi catif de l’association du pangolin à la royauté, et en particulier aux pouvoirs des FIG. 11 (PAGE DE DROITE) : Plaque fi gurant l’oba Ozolua dans une tunique ornée d’écailles de pangolin. Edo, royaume de Bénin, Nigeria. XVIe - XVIIe siècle. Laiton. 39,5 x 39 cm. Ex-coll. Georg Haas. Weltmuseum, Vienne, inv. VO 64717, acquis en 1899. KHM-Museumsverband. FIG. 12 (CI-DESSOUS) : Procession de deux dignitaires au festival igue portant des robes rouges qui imitent les écailles de pangolin. Royaume de Bénin, Nigeria. Photo : Joseph Nevadomsky, 1978. Voir fi g. 13. Avec l’aimable autorisation du Eliot Elisofon Photographic Archives, National Museum of African Art, Smithsonian Institution, Washington, DC, inv. 2012.013. DOSSIER


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