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93 relation devint rapidement plus proche. L’intérêt de Barnes pour la sculpture africaine était né. Le temps passé à la galerie parisienne de Guillaume, qui accueillait visiteurs exotiques et marginaux, se révéla stimulant pour Barnes, tant sur le plan intellectuel que culturel : « Ici, j’ai croisé six chefs de tribus africaines en même temps que quatre directeurs des Ballets russes. Tel un fl ot de fi - dèles, des visiteurs de toutes les nationalités affl uent chez ... Paul Guillaume. Des artistes anglais, japonais, norvégiens, allemands, américains, italiens – peintres, sculpteurs, compositeurs, poètes, critiques – que je connaissais de nom uniquement. J’ai entendu ici des critiques plus judicieuses et plus complètes que tout ce que j’avais jamais entendu ou lu auparavant » 11. Barnes s’est alors tourné vers ce nouveau domaine avec une passion et une attention identiques à celles qu’il avait témoignées pour les tableaux modernes. Bien qu’il ne fût pas le premier Américain à acheter des sculptures africaines, Barnes se distingua rapidement des autres en formant une collection assez considérable en moins de deux ans, achetant pratiquement toutes les oeuvres à Guillaume 12. Durant l’été 1922, il ne lui acheta pas moins de quarantesept oeuvres pour 71 000 francs, une somme équivalente à ce qu’il aurait dépensé pour deux ou trois oeuvres modernes. Grâce à l’acquisition de ce seul ensemble, il devint du jour au lendemain le plus grand collectionneur d’art africain aux États-Unis. Les types d’oeuvres qu’il achetait correspondaient aux goûts de ses contemporains, principalement des masques et des sculptures fi guratives – des genres se rapprochant davantage des concepts occidentaux de « l’art » que les oeuvres qui semblaient manifestement plus utilitaires. Parmi ses acquisitions les plus chères, coûtant 4 000 francs chacune, fi gurent une statue féminine assise due à un artiste senufo de Côte d’Ivoire (fi g. 6) – une oeuvre décrite comme « Grande divinité Soudan » – et une plus petite statue féminine baule (fi g. 8) identifi ée comme « Idole Côte d’Ivoire »13. En automne, Barnes continua d’étoffer sa collection avec des oeuvres repérées dans la galerie de Joseph Brummer au numéro 43 de la 57e rue Est à New York, provenant toutes de Guillaume. Le prix payé – un total de 40 950 francs pour seulement trois oeuvres – témoigne d’une valeur marchande plus élevée pour ces objets que pour n’importe lequel de ses achats précédents et donne un aperçu des ambitions grandissantes de Barnes. Peut-être souhaitait-il se montrer plus sélectif. Cet achat comprenait notamment l’exceptionnelle fi gure de gardien de reliquaire (fi g. 9a et b) sculptée par un artiste fang dont nous savons aujourd’hui qu’il a travaillé dans le nord du Gabon au début du XIXe siècle, acquise pour la coquette somme de 14 000 francs. À titre de comparaison, Barnes avait acheté en juillet 1922 un tableau d’Henri Matisse, Les trois soeurs « à la table de marbre rose » pour 22 500 francs. « N’oublie pas, écrivit Barnes à Guillaume à l’époque de cet achat, que j’ai l’intention de détenir la meilleure collection privée de sculpture nègre au monde.14 » À son retour à Paris en hiver 1922, Barnes dépensa une somme qu’il n’avait jamais déboursée auparavant pour de l’art africain : 131 110 francs pour trente oeuvres provenant de la galerie de Guillaume. Une fois encore, masques et statues fi guratives formaient l’essentiel de ce groupe, la pièce la plus onéreuse étant une fi gure masculine baule (fi g. 7) payée 13 500 francs. L’ensemble comportait également un masque punu du Gabon, acheté 4 250 francs, que l’artiste Man Ray avait photographié l’année précédente sur commande de Guillaume (fi g. 10 et 11)15. Le rythme quasiment frénétique des acquisitions ralentit en 1923. Cependant, à la fi n de cette année, la collection africaine de Barnes comptait déjà près d’une centaine de sculptures. Barnes n’a jamais expliqué les raisons de son intérêt soudain pour l’art africain. On sait qu’il n’était pas le seul collectionneur de peintures modernes à élargir son horizon et à se tourner vers la sculpture africaine. Qu’il ait été au courant ou non de l’existence d’autres collections américaines du genre – en particulier celles de John Quinn et de Walter et Louis Arensberg –, il n’ignorait sans doute pas la présence croissante de la sculpture africaine à New FIG. 7 (CI-DESSOUS) : Figure féminine waka snan. Baule, Côte d’Ivoire. Fin du XIXe siècle. Bois. H. : 47,9 cm. The Barnes Foundation, A261. Photo : Rick Echelmeyer. © 2015 The Barnes Foundation. FIG. 8 (EN BAS) : Figure masculine waka snan, attribuée à un artiste du cercle des Vérité. Baule, Côte d’Ivoire. Avant 1910. Bois. H. : 50,2 cm. The Barnes Foundation, A267. Photo : Rick Echelmeyer. © 2015 The Barnes Foundation. FIG. 9a et b : Figure gardienne de reliquaire eyema-byeri. Fang, vallées de Ntem ou de Woleu, nord du Gabon. Milieu du XIXe siècle. Bois. H. : 35,6 cm. The Barnes Foundation, A144. Photo : Rick Echelmeyer. © 2015 The Barnes Foundation. La Barnes Foundation


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