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71 objet. Cela est particulièrement vrai dans le cas des objets en écorce : les hommes s’occupaient du prélèvement du matériau sur l’arbre – une tâche très délicate car il fallait inciser le tronc sans jamais toucher la sève –, tandis que les femmes donnaient forme aux objets et, surtout, les ornaient de motifs très raffi nés de volutes et de spirales. T. A. M. : Ces décorations devaient être lourdes de sens… D. C. : Bien sûr ! Les arts des peuples de l’Amour se distinguent par leur caractère ornemental, qu’il s’agisse de manteaux, de boîtes, de cuillers... Une grande partie de l’ornementation des objets se fait par superposition de matières de même nature ou d’origines diverses (peaux de différentes espèces de poissons, peaux de cervidés, « peaux » de bouleau). Au niveau du tracé, la décoration repose sur le principe de l’enchevêtrement de volutes. Ces motifs, généralement bienheureux, véhiculent des signes d’appartenance à un clan ou des souhaits d’une vie heureuse, d’enfants, de protections contre tout malheur. Ils créent une nouvelle peau qui est en dialogue avec le monde invisible. T. A. M. : Pour terminer, dans le titre de l’exposition, Amour renvoie clairement, par l’usage de la majuscule, au nom du fl euve, ancrant ainsi le propos dans une sphère géographique et culturelle précise. Mais l’on pourrait s’attendre aussi – surtout si le titre est donné oralement – à ce qu’il soit question, dans l’exposition, d’amour entre les personnes. La question de la séduction est-elle abordée ? D. C. : Pas au sens premier. Il est question d’une dimension émotionnelle, affective, d’investissement de soi dans une relation de créativité qui est en contact avec un vivant autre (végétal, animal, minéral), d’amour pour les objets : de soin porté dans le processus de fabrication, dans l’usage au quotidien ; du lien qui se tisse entre l’homme et les objets qui, parfois, l’accompagnent dans son parcours de vie et jusqu’après la mort. Il est question également du sentiment « curatorial », dans le sens étymologique du terme, qu’éprouve la personne qui a la charge de préserver ces objets : le conservateur de musée. Cette dimension affective de notre métier me semble importante à souligner et c’est tout naturellement qu’elle a trouvé sa place dans l’exposition. FIG. 15a et b : Plat pour le poisson. Nivkh, Fédération de Russie, Sibérie extrêmeorientale, bassin de l’Amour. Seconde moitié du XIXe siècle. Bois. Musée du quai Branly, Paris. © mqB, photo : Claude Germain. Le poisson est le pain quotidien des populations de Sibérie extrême-orientale. La vaisselle en contact avec ce met essentiel est souvent ornée de motifs protecteurs, ici une volute qui est un museau stylisé consommant cette prise. Les motifs décoratifs ont été gravés et noircis à la suie. Esthétiques de l’Amour


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