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MUSÉE à la Une avec curiosité, et découvre par-là la complexité d’un monde méconnu. Des clés de lecture sont ainsi données au visiteur pour orienter son regard tout en laissant la part belle à sa rencontre personnelle avec les objets. La structure de l’exposition en deux grands espaces conceptuels offre également au visiteur un repère de base pour appréhender les cultures dont il est question. Il y a d’un côté une partie « eau », regroupant les créations en peau de poisson des peuples de l’embouchure de l’Amour et, de l’autre, une partie « forêt », avec des objets en écorce de bouleau, les deux éléments clés structurant l’appréhension de l’espace chez ces cultures. T. A. M. : L’approche esthétique que vous revendiquez pour les objets fait-elle sens chez les populations d’origine ? D. C. : Oui bien sûr, mais pas de la même façon que pour un Occidental. La notion de l’art pour l’art est en soi étrangère 70 aux peuples de Sibérie extrême-orientale. Ces derniers jugent de la beauté d’un objet, dont il ne faut pas oublier qu’il est utilisé dans la vie de tous les jours, par le soin qui a été apporté à sa réalisation ainsi que par son effi cacité à dialoguer avec le monde de l’invisible, celui des esprits. Cette reconnaissance de la valeur d’un objet bénéfi cie à son créateur qui, par là même, sera perçu comme une personne de valeur pour la société. Pour prendre un exemple simple, une couturière de talent sera une épouse appréciée car possédant un savoir-faire indispensable pour garantir la protection des siens. Après la mort, les couturières les plus remarquables pouvaient acquérir une sorte d’aura légendaire et leur talent précieux se transmettait parfois au sein de la famille. T. A. M. : Vous en venez à la question du créateur. La réalisation d’objets est-elle l’apanage d’un groupe spécifi que de personnes ? FIG. 13 : Plat rituel. Nivkh, Fédération de Russie, Sibérie extrême-orientale, bassin de l’Amour. Seconde moitié du XIXe siècle. Bois. Musée du quai Branly, Paris. © mqB, photo : Claude Germain. Les Nivkhs nourrissent rituellement les « hommes de la montagne », en particulier lors des fêtes de l’ours. Le succès à la chasse dépend d’eux. En versant la nourriture dans le creux du plat, on remplit directement, d’une façon symbolique, le ventre de l’ours, scellant ainsi l’alliance. D. C. : Dans les sociétés qui nous occupent, il n’y a pas de notion d’artiste telle que nous l’entendons. Nous sommes dans la sphère de l’artisanat, d’un savoir-faire transmis de génération en génération au sein de la famille et qui n’est pas vécu comme l’exercice d’un métier. Autrement dit chacun est susceptible de réaliser des objets pour soi-même ou pour son entourage proche. Après, l’identité du créateur varie suivant le type d’objet. On observe en effet une division par sexe suivant les matériaux et les types d’objet. Les femmes, par exemple, avaient pour prérogative de s’occuper de tous les objets mous du foyer, notamment des vêtements. Quant aux hommes, ils travaillaient le bois et le métal et étaient chargés de faire les canots pour la pêche. Parfois, hommes et femmes participent à l’élaboration d’un même L’OURS, maître de la taïga L’un des traits culturels spécifi ques des sociétés de chasseurs-pêcheurs vivant dans le bassin de l’Amour et à Sakhaline concerne leur relation à l’Ours, esprit maître de la taïga. La proximité symbolique avec ce mammifère prédateur de saumons est illustrée dans des nombreux mythes locaux qui parlent des ours comme des chasseurs révélant leur nature humaine, une fois enlevée leur fourrure à l’abri des regards dans leur tanière, mais elle est aussi agie rituellement. Ainsi, certains de ces peuples élèvent des oursons, parfois même en les allaitant, qu’ils mettront ensuite à mort lors de grandes fêtes pour que leur âme retourne dans la forêt chargée d’offrandes. Ce rituel donne lieu à de très grands rassemblements et son rôle social est essentiel, visant à sceller l’alliance des clans du village entre eux et avec ces habitants de la forêt, pourvoyeurs de gibier. FIG. 14 : Support d’esprit, ours. Nivkh, Fédération de Russie, Sibérie extrême-orientale, île de Sakhaline. Fin du XIXe siècle-début du XXe siècle. Bois. Musée du quai Branly, Paris. © mqB, photo : Claude Germain. Support d’esprit thérapeutique destiné à dévorer les maladies des enfants.


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