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Esthétiques de l’Amour ethnique ou typologique. Cela tout d’abord parce que je souhaitais aller au-delà des spécificités des peuples concernés – Nivkhs, Aïnous, Nanaïs, Oroks, Néghidals, Orotches – pour mettre en avant une matrice commune qui se manifeste à travers un mode de vie fondé sur la chasse et la pêche aux salmonidés, des pratiques animistes et une relation rituelle spécifique avec l’ours (voir encadré). L’exposition est ainsi axée sur la présentation de l’art décoratif comme porteur de sens et élément révélateur de la construction ontologique de ces peuples dans leur rapport avec le monde visible et invisible. Ainsi vêtements, accessoires, contenants pour les biens du foyer, interrogent la notion de barrière matérielle et symbolique à l’égard des forces visibles et invisibles au sein desquelles vivent les hommes. Les objets protègent du froid et du vent, mais aussi des attaques d’entités néfastes susceptibles de dévorer la force vitale et d’apporter le malheur. Il s’agit de composer avec ces êtres comme avec tout élément vivant dans la nature, animal, végétal, minéral, avec attention et respect. Il y a derrière cette esthétique de l’Amour le rapport spécifique qu’entretiennent ces peuples du saumon avec le vivant. La notion de beauté, et l’objet comme produit d’un geste aimant, comme support d’un dialogue, prend toute son importance ici dans la mesure où il me semble que l’émotion esthétique est une porte d’entrée exceptionnelle, un déclencheur qui nous met en situation d’apprécier et de développer une curiosité à l’égard de ce que nous ne connaissons pas. J’avais donc très à coeur de favoriser une présentation où les pièces pourraient être appréciées par un regard externe, en l’occurrence celui du visiteur occidental. Concrètement, nous avons procédé en plusieurs étapes. Tout d’abord les oeuvres « se sont faites belles » pour l’occasion. Réalisées dans des matériaux organiques très fragiles, elles ont fait l’objet d’une minutieuse campagne de restauration soutenue par Vacheron Constantin et le Cercle Lévi-Strauss. Millimètre par millimètre, chaque pli, chaque écaille a été examinée pour en exalter les qualités. Ensuite, nous avons réfléchi à une scénographie sobre et moderne qui, jouant autant que possible sur une présentation individuelle des pièces, sublime leur dimension matérielle pour les offrir au regard comme des réalisations uniques. Cela dit, il m’importait aussi que par le biais d’une émotion esthétique – que je souhaite personnelle et sincère, et pas simplement intellectualisée par la lecture de textes – le visiteur approche des objets usuels et apparemment simples, FIG. 12a (vue complète) et b (détail) : Étui à briquet à volutes. Nivkh, Fédération de Russie, Sibérie extrêmeorientale, bassin de l’Amour. Fin du XIXe siècle - début du XXe siècle. Peau d’esturgeon de Sakhaline. Musée du quai Branly, Paris. © mqB, photo : Claude Germain. Chez les peuples sibériens, couteaux et briquets comptent parmi les accessoires indispensables au quotidien, toujours portés à la ceinture. Cet étui à briquet aux extrémités en volutes, cousu dans une peau d’esturgeon de Sakhaline, à l’aspect étoilé tout à fait caractéristique, est un objet nivkh très précieux, censé ne jamais quitter son propriétaire, même après la mort.


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