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PORTFOLIO Les merveilles et chimères de Coco Fronsac Voilà trente ans que Coco Fronsac, née en 1962 dans une famille d’artistes, arpente chaque week-end ou presque les marchés aux puces, en quête de vieilles photos de famille que les aléas des histoires individuelles ont abandonnées 130 à d’autres mains. Au fi l des ans, elle a constitué une collection toujours renouvelée de portraits photographiques anciens, le plus souvent anonymes, datant de la fi n du XIXe et de la première moitié du XXe siècle, qu’elle a intégrée à son imaginaire de plasticienne. Si leur vocation mémorielle d’origine s’est à jamais perdue, Coco Fronsac leur donne une seconde vie en en faisant le support de ses oeuvres, qu’elle travaille à la gouache. Elle joue des postures solennelles, parfois hiératiques, souvent stéréotypées, qui caractérisent ces photos prises à l’occasion d’événements structurants de la vie (naissance, communion, service militaire, mariage…) et qui refl ètent dans le registre photographique les normes et les convenances des trajectoires sociales de ces époques. Elle a ainsi créé un ensemble de séries qui se distinguent et s’entremêlent à la fois pour constituer l’essentiel de son travail pictural, avec des titres évocateurs quant à leurs questionnements sur la mémoire et l’identité : Né(e) sous X, La mort n’en saura rien, Trous de mémoire, et d’autres encore. Dans l’une de ses séries les plus récentes, Chimères et Merveilles, elle a peint sur ces portraits des sculptures et des masques ancestraux d’Afrique, d’Océanie, d’Asie, des Amériques et même du folklore européen, conjuguant ainsi dans des mises en scène troublantes des expressions artistiques radicalement différentes et pourtant contemporaines, toutes aussi normées par les traditions. Elle s’amuse visiblement de ce décalage voire de ces oppositions entre les formes et les couleurs, qu’elle accentue à plaisir en peuplant ses compositions d’animaux étranges, de plantes tropicales, de coraux, d’extraits de planches d’anatomie… En petite-fi lle des surréalistes et des avant-gardes qui les premiers avaient investi les arts dits primitifs pour révolutionner une civilisation en déclin, Coco Fronsac nous plonge dans un univers onirique, drolatique, où les cultures se mélangent pour engendrer du merveilleux. Au-delà, la série est un hommage vibrant aux artistes les plus emblématiques de ces mouvements, dont elle reproduit des oeuvres dans chaque saynette et qui en deviennent eux-mêmes des personnages – fi gurent ainsi André Breton, Yves Tanguy, Joan Miro, Sophie Taeuber-Arp, Francis Picabia, parmi d’autres. Un hommage que l’on retrouve jusque dans les titres aux résonances surréalistes et en référence à l’écriture automatique chère aux membres du mouvement – « Ceci est un parapluie, ceci est un chat dévorant un oiseau, ceci est ... », ou encore « Le pentacle, le Yupi’k et l’Alyte obstrétican » – suivis systématiquement de la référence à l’oeuvre extra-occidentale « citée », comme pour mieux la préserver. Il en est de même pour les visages qu’elle prend le soin de photographier avant chaque acte créatif, pour en conserver, dans ses archives, la mémoire. À l’occasion de son deuxième Parcours des mondes et de sa quatrième exposition organisée par la Galerie Vallois qui l’a révélée à Paris, Coco Fronsac nous a présenté une série inédite, La Belle et les Bêtes, dont l’inspiration continue de nous étonner et de nous émerveiller. Elle s’inscrit ici dans le sillage de La Vie amoureuse des Spumifères (1948) de Georges Hugnet, qui avait peint et dessiné sur des cartes postales de nus féminins des animaux fantastiques qui leur étaient accouplés. Coco Fronsac a choisi comme supports des photographies de cocottes, de femmes aux moeurs polissonnes et de modèles d’atelier en provenance de la galerie Les Larmes d’Éros d’Alexandre Dupouy. Elle y a peint des masques ancestraux extra-européens renvoyant à des représentations « animales » (au sens premier et métaphorique du terme), et leur a adjoint jungle et fl eurs démesurées, insectes rampants ou volants, et autres petites bestioles issues d’un monde fabuleux. Si « Le Purlaine orgueilleux » de Georges Hugnet, « Le Torchas casqué », « La Dragoulette » ou « Le Promidan cornu », amants obsédés, avaient croisé le chemin des « Belles » de Coco Fronsac, leur rencontre aurait été certainement aussi saisissante que burlesque. En revisitant et synthétisant par-delà les différences culturelles photographie, sculpture, peinture, Coco Fronsac apporte ainsi un éclairage tout à fait contemporain, ludique et habité sur les arts extra-européens qui peuplent son imaginaire. Par Valentine Plisnier FIG. 1 : Portrait de Coco Fronsac rendant hommage à la célèbre photographie de Man Ray, Noire et Blanche. Photographie de Michał Sitkiewicz et Paweł Sokołowski, Street Collodion Art. FIG. 2 : Coco Fronsac, Ceci est un parapluie, ceci est un chat dévorant un oiseau, ceci est... 2015. Gouache sur photographie ancienne. 17,5 x 23 cm. Collection de l’artiste. Toutes les oeuvres reproduites dans ce portfolio s’inscrivent dans la série


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