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2 Le 14 novembre dernier, Sotheby’s New York adjugeait l’imposante statue deble senufo de la collection Myron Kunin pour plus de douze millions de dollars (frais compris) ; un record qui a suscité autant d’enthousiasme que de craintes chez les amateurs. La preuve de la reconnaissance absolue de l’art tribal comme patrimoine d’exception était là, inscrite dans ces huit chiffres, mais aussi le doute quant à la possibilité de se lancer – voire même d’évoluer – avec délectation dans l’aventure de la collection d’oeuvres anciennes d’Afrique, d’Océanie, d’Asie et des Amériques. Imposant, ce record n’en apparut pas moins à bon nombre de ceux qui suivent avec intérêt et fascination l’évolution du marché de l’art tribal comme un sommet diffi cile à dépasser et pouvant s’expliquer par des circonstances exceptionnelles, principalement liées à l’importance de la pièce proposée, laquelle, il n’est pas inutile de le rappeler, avait déjà atteint un prix record lors de son premier passage en vente publique chez Sotheby’s le 15 mai 1991, en changeant de mains pour un million dix-sept mille cinq cents dollars. Et pourtant, les tentatives de faire de l’ombre au deble Kunin n’ont pas manqué ce printemps… Le Top 10 des meilleures enchères du premier semestre 2015 que nous présentons dans cette édition de Tribal Art magazine en apporte la preuve et confi rme que de nombreuses surprises nous attendent encore. Le lecteur y découvrira que sept pièces d’Afrique – car ce continent accapare le podium – ont dépassé le million d’euros et que plusieurs records ont été battus. Citons à cet égard les plus de cinq millions quatre cents mille euros du kota de William Rubin vendu chez Christie’s Paris le 23 juin ; un prix sans précédent pour une pièce de ce genre. Où se situe le seuil de cette tendance ? Il ne nous appartient pas de le dire car, avouons-le sans complexes, faire parler la boule de cristal n’a jamais été notre fort... Mais ce qui semble certain au vu de la récurrence et de l’accélération dans la fréquence de ces records de ventes aux enchères, c’est que nous assistons à un changement de paradigme, à une sorte de scission du marché des arts tribaux. D’un côté, on observe l’émergence d’un sous-marché de chefs-d’oeuvre issus de peuples devenus déjà « classiques » – et les Lumbu du Gabon dont Charlotte Grand-Dufay analyse un superbe corpus de pièces dans le dossier central de cette édition en font partie. Ces pièces phare sont souvent associées au nom de grands maîtres (celui de Warua, de Sikasso ou encore de Bouafl é, pour en rester à des exemples africains), quand elles n’affi chent pas, en plus, une provenance illustre (Vérité, Rubin, Goldet, etc.). Ce segment premium, pour reprendre le jargon de l’économie marchande, se développe dans les mêmes lieux que l’autre marché des arts tribaux – celui qui a toujours existé – mais commence à avoir ses « vitrines » de prédilection : les grandes maisons de ventes, ce qui revient à dire Sotheby’s et Christie’s, le salon d’art tribal par excellence qu’est Parcours des mondes mais aussi – et cette tendance se consolide – des grands salons généralistes de prestige tels que TEFAF (Amsterdam), la Biennale des Antiquaires (Paris), BRAFA (Bruxelles) et Frieze Master’s (Londres) qui, en octobre prochain, accueillera six marchands incontournables, ce qui est une première. Certains regrèteront la perte de repères qu’entraîne toute altération de l’ordre connu. Mais pour nous, compte tenu de la richesse des manifestations artistiques qui composent notre domaine, il s’agit d’autant d’opportunités extraordinaires de construire de nouveaux référents et de développer des collections aussi personnelles, émouvantes et belles que celle d’art colon dont nous parle Alain Weill dans ce numéro. Car, en défi nitive, y a-t-il un terreau plus fertile pour développer une passion que le doute et la soif de découvertes ? Elena Martínez-Jacquet Éditorial Notre couverture illustre un ensemble de bustes et de têtes reliquaires réalisés par des artistes lumbu, Gabon, et conservés actuellement dans plusieurs collections privées françaises. Photo : Hughes Dubois.


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