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Le style « Holly Keko » notoire dans la région, il pratiquait la sculpture avec son frère et ses fi ls10 (fi g. 8). Que ce soit dû à la renommée de la maison ou à sa parenté avec Wibrika, toujours est-il que c’est Magnuor qui fut chargé de la création des thílkõtína de Kou-Jina et de son épouse. Il devint ainsi le thíteldárà kõtín des Kou, le « maître sculpteur » responsable de la réalisation des supports cultuels de leur lignage et de la perpétuation du style, que les destinataires de ses oeuvres qualifi èrent de « Holly Keko », du nom du village de Holly suivi de celui de Kèkó, où Magnuor Palé travailla jusqu’à sa mort, survenue un peu avant le début du XXe siècle11. De nombreuses familles se rendirent à sa maison pour lui passer des commandes et, toujours selon les descendants d’Ithé, le style de Holly Keko devint aussitôt spécifi que aux objets cultuels des Birifor installés au sud-ouest de Gaoua. La charge de thíteldárá kõtín se transmit d’abord à Gnõkithé Kambou (± 1880-± 1950 / 1955), l’avant-dernier des fi ls de Magnuor, puis à Bangité Sib qui, décédé en 1995 à Bagara, fut le dernier responsable « offi ciel » de la perpétuation 111 du style dit « de Holly Keko ». Certes, en adaptant la conception formelle teébò à la manière du vieux Kipume Youl, sculpteur attitré des Birifor de la région de Malba qui avait décliné l’offre de Kou-Jina Kambou en raison de son âge, Wibrika Palé avait bien posé les premiers jalons du style, mais Magnuor, lui, a donné naissance au modèle de référence pour la fabrication des effi gies toujours destinées au thílduù des Kou, là où la notion d’ancêtre s’est associée avec Kou-Jina à celle de fondateur du village et du lignage. Trois statues du thílduù ont été attribuées à la main de Magnuor Palé. Les deux premières, réalisées par lui vers 1870 (voir fi g. 3, statues 3a et 3b), furent placées par Ithé Dá en l’honneur de ses parents, Kou-Jina Kambou et Irakua Dá. La troisième, posée par Djotir Kambou après la mort de son père, Ithé Dá, vers 1880 (voir fi g. 3, statue 4), m’a été indiquée comme l’une de ses dernières réalisations pour le thílduù de la maison des Kou13. Ces objets illustrent d’une manière magistrale les principales caractéristiques du style dont Magnuor Palé a été reconnu « maître ». Ce sont surtout les traits des petits visages à peine concaves de ces statues rigoureusement sculptées qui attirent le regard : une bouche aux lèvres pincées, un nez fi n légèrement aquilin et des yeux aux paupières baissées, étirés en croissant de lune, leur confèrent un air austère, presque majestueusement dédaigneux. La forme « en objets cultuels de son entourage, sa technique de taille se ressentant de la statuaire teébò, notamment dans le rendu du mouvement des bras fl échis et des épaules portées en arrière (fi g. 7). Dans la fi gure masculine du couple d’effi gies destinées à honorer la mémoire des parents de Kou-Jina, Wibrika a reproduit dans le détail le visage de la première grande statue du thílduù offerte par les Teésè, avec la coiffure yuú-jimàní très élaborée, mais les traits semblent presque taillés à la serpe, tout en angles et en rudesse, à l’image de certains vieillards du pays. Néanmoins, de par son choix et sa capacité à réunir des conceptions formelles dissemblables, ce sculpteur semble anticiper le rôle des futurs thíteldárà kõtína du pays, ces « maîtres sculpteurs » créateurs de styles composites d’un art destiné à rappeler la nature hétérogène de la société lobi. De fait, les adaptations stylistiques accomplies par Wibrika devinrent un exemple à suivre pour nombre de sculpteurs, dont son neveu utérin Magnuor Palé, auteur, lui, des thílkõtína dédiées à la mémoire de Kou-Jina et de son épouse, Irakua Dá (voir fi g. 3, statues 3a et 3b). Ce n’est d’ailleurs qu’avec la réalisation de ces superbes effi gies que le style acquiert ses caractéristiques appelées à se maintenir au long de son histoire. « Ithé Kambou, me révèle Ontoré, avait transmis ses savoirs à Kou-Jina, son neveu utérin, c’est pourquoi le pouvoir de ce dernier fut représenté par une effi gie à la tête tournée d’un côté, geste que font les femmes à la suite de la perte de leur enfant pour montrer qu’il n’est plus sur leur dos ». Ce thílduù était donc le lieu sacré par excellence, au moyen duquel les descendants d’Ithé ont pu asseoir leur pouvoir sur la terre des Teésè, en renouvelant d’une génération à l’autre l’exercice des pouvoirs de leurs guérisseurs. Mais, à mes yeux, ce lieu était encore bien plus que cela car, ici plus qu’ailleurs, au regard de l’évolution manifeste du style, les statues se révélaient être de précieux instruments visuels, aptes à sauver de l’oubli l’histoire du lignage et à conserver, par leurs traits différents, l’identité de leurs créateurs successifs : la vision de chaque objet interagissant avec l’esthétique des autres évoquait par association le souvenir à transmettre des personnes et des événements, dans leur contexte historique et généalogique. … et d’une lignée de maîtres sculpteurs Fils de la soeur aînée de Wibrika, Magnuor Palé naît vers 1830 à Kèkó, petit village teébò situé au-delà du marigot de Holly. Appartenant à une maison de sculpteurs teésè déjà FIG. 7 : Statuette réalisée vers 1850 par le sculpteur teébò Wibrika Palé (± 1800- ± 1870). Bois dur et patine terreuse. H. : 53 cm. Collection François et Marie Christiaens. © Hughes Dubois. FIG. 8 : Statue représentative de l’ancien style teébò des Palé du Khùl. Kékò, 1989. Photo : Daniela Bognolo.


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