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MUSÉE à la une langue roviana est liée à sa fonction protectrice. Ne clignant jamais des yeux, fixant l'horizon, cette image d'esprit gardien de la pirogue interdit l'approche aux esprits malveillants tel kesoko, dont les déplacements rapides sont imperceptibles aux yeux des hommes. Au sommet de la proue et de la poupe, deux figures Janus regardant respectivement à l'avant et l'arrière et à bâbord et tribord renforçaient encore cette protection. L'ensemble de ces êtres sculptés ou incisés étaient ceux dont les hommes cherchaient à s’approprier les qualités : prédation, force physique, vitesse, capacité divinatoire. Cette iconographie participait de l'efficacité 76 symbolique de l'embarcation lors d'une expédition dont la réussite, c'est-à-dire la prise de captifs vivants et de têtes d'ennemis offertes ensuite aux esprits des ancêtres permettait aux chefs ayant initié ce raid d'asseoir leur statut auprès des vivants comme des morts et d'acquérir du mana, un pouvoir surnaturel. Sur la pirogue, les têtes tuées étaient matérialisées par une rangée de coquillages blancs (Ovula ovum) fixés sur l'extérieur de la proue et séparés de bâtonnets enveloppés de tissu rouge, image du sang. Sur l'intérieur, une frise de plaques de tridacne blanc taillées en triangle et à l'un des bords dentelé rappelait les pagosia, ces charmes magiques conservés sur les autels des ancêtres et emportés à bord pour garantir le succès. L'ÉCLAT DES OMBRES Le blanc, le rouge et le noir apparaissent, après cette courte analyse, comme les valeurs dominantes qui composent visuellement les pirogues de guerre de l'ouest des Salomon. Plus largement, cette combinaison contrastée, associée à la luminosité ou l'irisation des coquillages incrustés, est caractéristique des objets pré-chrétiens des îles Salomon. Cette complémentarité de la couleur et de la lumière serait universelle. Dans les langues anciennes germaniques, certains termes désignant « noir » et « blanc » ont pour racine commune le verbe « briller », attestant de la primauté de la luminosité sur la coloration. Aux îles Salomon, creuset de culture mélanésienne, polynésienne et micronésienne situé au sud-est de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, ces effets visuels renvoient à des phénomènes naturels – arc-en-ciel, rayons solaires, étoile filante, iridescence de certaines espèces animales, etc. – précisément observés, et interprétés par les hommes comme des manifestations des entités invisibles et spirituelles : les « ombres », issues des morts. Choisis comme fil conducteur de l'exposition L'éclat des Ombres présentée au musée du quai Branly, ces effets matérialisés dans les objets permettent de comprendre l'importance des relations qu'entretiennent les vivants avec les esprits des morts dont ils cherchent à s'attirer les faveurs et le pouvoir immanent (mana) afin d'assurer prospérité et réussite de leurs actions. Ainsi, les bols funéraires des Salomon orientales aux incrustations de nacre et à l'iconographie marine complexe, les monnaies de plumes des îles Santa Cruz dont la valeur réside dans la vivacité du rouge des plumes, les corps des hommes et des femmes des îles de Rennell et Bellona couverts de curcuma intensément orange, les pendentifs, brassards et charmes en tridacne ou en nacre donnent-ils tous à voir les invisibles, les rendent présents, encore aujourd'hui, le temps d'un rituel, d'une pêche ou d'un échange matrimonial. calfatage des planches est réalisé à l'aide d'une résine gluante obtenue à partir de noix broyées (Atuna racemosa). La pirogue est ensuite couverte d'un enduit de charbon mélangé à de la résine puis vernie d'une sève provenant des racines aériennes d'une plante grimpante de la famille des aracées. Cette chaîne opératoire, depuis le choix du bois jusqu'au lancement sur l'eau, durait plus d'un an et s'accompagnait de rituels spécifiques. Sur la surface sombre de la coque, émergent lisiblement des motifs sculptés dans la nacre de nautile (Nautilus pompilius) qui profilent encore davantage la pirogue et la font scintiller une fois en mer. Sur le modèle conservé au musée du quai Branly, des cercles crénelés soulignent la proue et des carrés structurent le pourtour de la poupe. Le long de la coque, poissons (dont des bonites, sorte de petits thons de la famille des Scombridae) et oiseaux frégates au bec crochu cheminent vers la proue dont la ligne de flottaison est ligaturée d'une tête sculptée en bois noirci, aux yeux et aux lobes d'oreilles incrustés également de coquillage. L’intensité du regard de cette figure connue sous le nom de toto isu en langue marovo ou nguzunguzu en


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