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Éditorial Hiver 2014 : le « titre » de notre dernière parution que nous soumettons avec bonheur à l’appréciation de nos lecteurs, mais aussi la dernière opportunité – avant que l’année ne s’achève – de rappeler qu’il y a cent ans, les arts premiers gagnaient leurs lettres de noblesse grâce à une exposition modeste dans son format mais aussi ambitieuse que visionnaire dans ses revendications. Nous pensons bien évidemment à Statuary in Wood by African Savages: The Root of Modern Art, dont la simple évocation suffit à mettre en émoi tout passionné d’arts premiers. Célébrée à New York à la galerie 291, cette manifestation, contrairement aux dires de ses instigateurs – Marius de Zayas et Alfred Stieglitz – ne fut pas strictement la première à mettre en avant les qualités formelles d’objets d’arts exposés venus d’ailleurs, d’Afrique en l’occurrence. Ce mérite revient, en tout état de cause, à Joseph Brummer, comme cela est rappelé dans la brillante thèse de doctorat de Yaëlle Biro, Transformation de l’objet ethnographique africain en objet d’art (2010) – que, soit dit en passant, nous espérons voir publiée un jour –, mais force est de reconnaître que Statuary in Wood, à laquelle contribua grandement Paul Guillaume, reste la première exposition entièrement consacrée aux arts d’Afrique à avoir affirmé, par le truchement de leur impact sur les artistes occidentaux d’avant-garde, leur dimension résolument esthétique. Au fil des cent années qui nous séparent de cet événement auquel nous rendons hommage par ces lignes, les expositions célébrant les arts premiers – souvent pérennisées par des publications – se sont succédé à bon rythme, contribuant à l’avancement de la connaissance dans ce domaine et, en égale mesure, à leur rayonnement auprès d’un public chaque jour plus nombreux. À l’origine de ces manifestations, des musées et des centres culturels – spécialisés, ou pas : citons, pour ne donner qu’un exemple, le Musée des Beaux-Arts de Montréal qui en 2006 et 2008 présentait Afrique sacrée I et II, comme nous l’explique Jacques Germain dans son article sur les collections d’art africain au Canada – mais aussi des galeries privées. Plus confidentielles que celles promues par des institutions pour des raisons évidentes de budget, d’espace, de couverture médiatique etc., et souvent sous-estimées par leurs implications commerciales, il est des expositions de marchands tout à fait décisives, comme s’attache à le souligner Alisa LaGamma dans la présentation qu’elle nous livre dans ce numéro de son nouveau projet curatorial pour le Metropolitan Museum of Art, dédié à la statuaire des Mbembé du Nigeria et dont l’inspiration fut donnée par l’exposition Ancêtres M’Bembé que réalisa Hélène Leloup – alors épouse Kamer – dans sa galerie parisienne en 1974, voici déjà quarante ans, et qui révéla une tradition sculpturale des plus saisissantes à travers un corpus de pièces – des représentations de mères et de guerriers – devenues iconiques. Loin de constater un quelconque essoufflement dans la programmation de ce type d’événement – que ce soit dans le nombre de manifestations ou dans la diversité des sujets abordés, comme en témoigne la simple lecture de nos rubriques d’actualité – nous prenons un très grand plaisir à nous faire l’écho de ce dynamisme, gage de nouvelles découvertes. Des expositions comme Les rois Mochica au Musée d’ethnographie de Genève ou encore L’éclat des ombres, l’art en noir et blanc des îles Salomon au musée du quai Branly, auxquelles nous consacrons des articles de fonds, nous montrent qu’il est encore des civilisations et des cultures matérielles sur lesquelles nous avons encore beaucoup à apprendre. Outils de connaissance, les expositions apparaissent aussi comme un fabuleux exercice de rapprochement entre les peuples – le succès de First Americans: Tribal Art of North America promue par le Bowlers Museum de Santa Ana (Californie) en terres colombiennes et chinoises en atteste –, mais également d’introspection. Nous faisons allusion par là à ces manifestations chaque fois plus nombreuses centrées sur des aventures personnelles : celles de la poétesse proche du surréalisme Joyce Mansour, d’André Breton, du jeune explorateur Paul Denys Montague ou encore celle du collectionneur américain Richard Scheller, pour se contenter de citer des noms qui sont, ou seront très prochainement, à l’affiche. Intimes, ces incursions dans le rapport aux arts premiers d’individus dont la vie a le goût de l’aventure ou dont l’on admire la sagacité du jugement et l’assurance dans le regard doivent-elles leur succès à ce qu’elles nous offrent des espaces de réflexion dans lesquels nous pouvons interroger à loisir les pulsions qui nous mènent à autrui par le biais de ses créations artistiques ? Des expositions-miroir... Elena Martínez-Jacquet Notre couverture illustre un masque de danse inuit, collecté par Knud Rasmussen en 1924 à Pt. Hope, au nord de l’Alaska. L’objet est conservé au musée national du Danemark sous le numéro d’inventaire P32257. © Musée national du Danemark.


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