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ART on View Ils se rendirent ensuite dans une importante maison de vente aux enchères à Paris, afin de faire estimer la statue. Ils eurent la confirmation qu’il s’agissait d’une représentation de chef de qualité exceptionnelle et de grande valeur, produite 138 au XIXe siècle par les Tshokwe, établis dans le centre et l’est de l’Angola et dans certaines régions de la République démocratique du Congo. En quête d’un deuxième avis, l’un des marchands portugais alla dans le quartier des galeries dans le VIe arrondissement et montra une photo de la statue à Alain de Monbrison qui, pensant qu’elle avait été sousévaluée, paya plus de deux fois le prix estimé. Ce dernier la plaça rapidement dans une importante collection privée, où elle se trouve encore aujourd’hui.1 La sculpture ressemble fortement dans son style à deux autres figures majeures tshokwe. L’une d’elles changea de mains lors de la vente Vérité pour un montant record de 3 781 256 euros, et se trouve aujourd’hui dans la collection du Museum Rietberg de Zurich (fig. 1). Elle est supposée être arrivée à Lisbonne en 1924, bien que personne ne sache réellement comment. L’autre est une figure assise d’un chef tenant un lamellophone vendue en 1981 lors d’une vente publique organisée par Loudmer-Poulain à Paris. Prêtée pendant un temps au Nelson Atkins Museum, elle se trouve désormais dans la collection du Metropolitan Museum of Art à New York (fig. 2). Cet exemplaire fut collecté en Angola par le contre-amiral Francisco Antonio Gonçalves Cardoso (1800–1875), vraisemblablement pendant son mandat de gouverneur de l’Angola portugais entre 1866 et 1869. Les trois figures représentent des chefs, dont la posture agressive est censée évoquer la force et le pouvoir royal, tandis que la position fléchie (apparente même sur la figure assise) renvoie à la célérité. La coiffe/coiffure élaborée est la mutwe wa kayanda (fig. 4), traditionnellement portée par les dirigeants tshokwe et typique de ce genre de représentations. 2 Elle est investie de pouvoirs surnaturels au moyen d’une corne centrale, symbolisée sur ces sculptures par une FIG. 6a-b (EN HAUT À GAUCHE ET EN BAS) : Mission catholique non identifiée en Angola où la sculpture des fig. 3 et 9 fut acquise en 1934/35. Photo : famille Villas Boas. Avec l’aimable autorisation d’Alain de Monbrison, Paris. FIG. 7 (CI-DESSUS) : Manuel Fuscini Villas Boas avec des amis et des missionnaires catholiques, 1934/35. Photo : famille Villas Boas. Avec l’aimable autorisation d’Alain de Monbrison, Paris. (PAGE SUIVANTE) FIG. 8 : La famille Villas Boas dans les années 1950 avec la sculpture en arrière-plan à droite. Photo : famille Villas Boas. Avec l’aimable autorisation d’Alain de Monbrison, Paris. Fig. 9 : Vue de dos de la fig. 3. Photo : Don Turttle. sorte de tige au sommet de la tête. La coiffe encadre un front large surmontant des yeux pénétrants qui expriment à la fois l’intelligence, la sagesse et la clairvoyance, tant sur le plan physique que spirituel. Tenant un bâton dans une main et une corne dans l’autre, l’exemplaire du Rietberg incarne le héros Chibinda Ilunga, le prince luba supposé avoir épousé une chef de clan lunda aux alentours de 1600, amenant ainsi l’art de la chasse et une lignée de royauté divine à ce qui deviendrait rapidement l’empire lunda et, par extension, aux Tshokwe, qui domineraient plus tard la région. Les deux autres figures ne possèdent pas les attributs spécifiques à Chibinda Ilunga, mais l’évoquent par extension en ce qu’elles représentent des chefs. La principale particularité des trois figures est leurs mains démesurées qui se projettent vers l’avant depuis le milieu du torse, dans un geste appelé taci. Ce mouvement est propre aux rois et témoigne de leur vitalité et de la prospérité de leur royaume, symbolisant principalement la puissance et la force du chef, mais aussi de son peuple. Il peut être entendu également comme une référence explicite au geste des « mains levées » que les chefs tshokwe emploient pour préserver le bien-être de la communauté, aussi bien dans la sphère visible qu’invisible. Ces figures étaient d’importantes icônes royales. Le commerce avec l’Europe et l’intérieur du continent au XIXe siècle a permis aux souverains tshokwe de prospérer. Ils ont


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