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Histoires d’ivoire 131 IMAGES EUROPÉENNES Outre la vie quotidienne dans la société du Loango à laquelle ils appartenaient, les sculpteurs d’ivoire tiraient également leur inspiration des journaux, magazines, photos et même de visites personnelles en Europe et en Amérique. Le même témoin oculaire dont nous avons déjà fait mention précédemment faisait état, dans un journal de 1889 que « les sculpteurs kongo-vili accrochaient souvent des “ papiers illustrés ” dans leurs ateliers » (Bridges, 2009 : 5-6). Des photos et des cartes illustrées pour le marché européen circulaient donc bien parmi les sculpteurs, fournies ou non par les clients. Les similitudes entre les sujets de ces photos et les scènes sculptées sur les défenses sont frappantes : de nombreux porteurs qui transportent des défenses d’éléphants, des populations types, des animaux sauvages, etc. Quelques sculpteurs d’ivoire ont même voyagé jusqu’en Europe et en Amérique pour montrer leur savoir-faire et leur art lors d’expositions universelles. Sur les défenses fabriquées sur place, nous retrouvons aussi, outre des scènes du pays, des scènes auxquelles les sculpteurs avaient assisté lors de ces expositions (voir Bridges, 2009 : 45-59). Ils ont rapporté au Loango les expériences et impressions engrangées en Europe et en Amérique et les ont plus que probablement intégrées dans la suite de leur carrière. Cela pourrait expliquer l’apparition d’animaux et de personnages difficiles à identifier. Les défenses teintées « d’impressions importées » ont certainement servi à leur tour d’inspiration pour les autres sculpteurs d’ivoire, offrant une explication plausible à leur diffusion dans le temps et l’espace. FIG. 24 : Chapeau en bois. National Museum of World Cultures, Tropmenmuseum, Amsterdam. RV 2668-906. Donation Artis, 1920. Ancienne collection L.S. Anema, 1884. Bas, l’Angleterre, la France et l’Allemagne. 16. Les principaux produits d’exportation au nord et au sud de la rivière Congo étaient la gomme-résine et l’ivoire. À l’embouchure du Congo, on trouvait principalement de l’huile de palme, de l’ivoire et des espèces de bois précieuses. Vers 1870, le commerce se limitait à environ cinq produits principaux : l’huile de palme, les graines de palmier, les cacahuètes, le caoutchouc et l’ivoire. À plus petite échelle se déroulait également le commerce de café, de graines de sésame, de tabac, de malachite, de cire et de fibres de baobab. Les Congolais recevaient en échange du textile, du fer, du cuivre, des armes, des munitions et des petits objets comme des chapeaux et de la porcelaine (Friedman 1991 : 16). 17. J.W. Regeer a retranscrit cette expérience depuis son comptoir de commerce qu’il a fait tourner en solitaire, entre 1873 et 1882 ; aussi écrit-il : « Il y a des semaines où je ne vois pas un blanc. » (1882 : 6). 18. D’après une liste du personnel du comptoir de commerce principal à Banana (Friedman, 1991 : 25-26). 19. Voir Phyllis Martin (1972) pour un témoignage complet. 20. Nous ne pouvons toutefois exclure que l’élite locale ait également acquis des ivoires de Loango. Citons à ce propos une étude de John Janzen (1990, « The Art of Lemba in Lower Zaire ». Iowa Studies in African Art 3, p. 93-118). Il y indique que les défenses représentant principalement le thème de la relation homme-femme pourraient être étroitement liées à la société secrète Lemba active du début du XVIIe siècle au début du XXe siècle dans la zone du Bas- Congo. Finalement, c’est par l’intermédiaire de riches membres du Lemba que ce type de défenses est arrivé dans les collections occidentales privées et de musées. Cela mérite que nous nous y attachions davantage. 21. Carl Friedrich Wilhelm Robert Visser (1860 Düsseldorf / 1937 Büderich) est parti en 1882 au service de la NAHV en direction de l’Afrique et s’est installé comme propriétaire de plantation dans la région du Bas-Congo. Il y séjournera finalement vingt-deux ans, avec plusieurs pauses, et rentrera définitivement en Allemagne en 1904. Depuis le Congo, il a rassemblé des ethnographies pour divers musées allemands et a réalisé, selon ses dires, quelque cinq cents photos. Hélas, il n’en reste qu’une quantité infime, de nombreux originaux ayant disparu pendant la Seconde Guerre mondiale. Il subsiste encore toutefois de nombreuses photos utilisées pour les cartes postales illustrées dans les collections de musées à travers le monde.


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