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LES ANIMAUX ET LA VIOLENCE Contrairement aux scènes d’esclavage, les motifs d’animaux sculptés sur les défenses constituent la base de l’art traditionnel congolais. Le plus frappant, c’est le nombre limité d’espèces animales représentées par rapport à celles avérées dans la région du Congo. L’animal le plus récurrent sur les défenses est bien entendu le serpent, évoqué par le motif de spirale, symbole d’éternité en ce que leur mue – par laquelle il revit à chaque fois en quelque sorte – semble le destiner à une vie éternelle. Dans la religion du Congo, le serpent est continuellement en contact tant avec le passé qu’avec le présent et, par conséquent, avec le domaine des ancêtres et de la société actuelle. Les Tabwa par exemple associent les grands serpents avec les esprits de la terre qui, dans de bonnes dispositions, donnent accès aux principales richesses de la nature. Et le serpent enroulé autour de nombreux sceptres, du bas en haut, offre à son propriétaire l’accès direct aux forces inconnues que renferme la terre (Roberts, 1995 : 62-63). Par ailleurs, les défenses du Loango affichent souvent des scènes confrontant des hommes et des animaux, le plus fréquemment des serpents (fig. 21), des éléphants et des crocodiles. L’explication à ces scènes – évocation de chasses très probablement – tient certainement davantage aux illustrations populaires sur l’Afrique publiées dans les médias occidentaux qu’à la cosmologie kongo. Les publications des explorateurs et les récits de voyage dans les journaux étaient souvent richement illustrés de thèmes quasi imposés comme « la chasse du grand gibier » et les dangers immenses auxquels le héros s’est exposé comme les « attaques féroces d’animaux sauvages » auxquelles il avait survécu de justesse. Les scènes Histoires d’ivoire sur les défenses illustrent aussi souvent la délivrance, avec un deuxième personnage doté d’une épée ou d’une arme, jamais très loin. Si l’on accorde du crédit aux dires du témoin oculaire cité plus avant, dont l’atelier était recouvert d’illustrations, nous pouvons prudemment en conclure que les sculpteurs d’ivoire connaissaient probablement ces illustrations. La symbolique liée à ces animaux peut également livrer une autre explication possible. Prenons par exemple la défense conservée au Tropenmuseum (fig. 22) comportant une scène très détaillée dans laquelle un homme est attaqué par un crocodile. Ce dernier est représenté refermant ses mâchoires sur la jambe droite de l’homme, la patte avant sur la cuisse gauche et la patte arrière contre sa gorge. Sur la gauche, le crocodile est attaqué par un homme à l’épée levée. Chez les Kongo, cet animal symbolise la mort mais, dans ce cas précis, il peut également représenter Simbi, un esprit dangereux qui vit dans les rivières. Dans la mythologie kongo, ces crocodiles pouvaient kidnapper des gens le long des berges des rivières et les vendre comme esclaves. Étant donné la scène d’esclavage qui suit, le crocodile de cette représentation pourrait très bien être l’un de ces « simbi ». Le fait que la victime ait mordu le crocodile à la queue peut indiquer qu’il ne se laisse pas aussi facilement maîtriser. Voilà ici un symbole magnifique, probablement involontaire, de la relation entre le peuple de la région du Bas-Congo et les commerçants européens.


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