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Histoires d’ivoire 123 FIG. 7 a et b (CI-DESSUS) : Détails d’une défense ornée de scènes absurdes. L. : 76 cm (longueur totale de l’objet). National Museum of World Cultures, Tropenmuseum, Amsterdam. TM A-11039. Donation Artis, 1920. FIG. 8 (CI-CONTRE) : Rond de serviette en ivoire avec signature. Collection privée. FIG. 9 : Photo de groupe montrant deux hommes européens et deux femmes africaines à un comptoir de la NAHV, fin du XIXe siècle – début du XXe siècle. Comparez le modèle des jupesportefeuilles des dames avec celles sur la défense en fig. 3) long du « Lefunda Rio », au sud du fleuve Congo. National Museum of World Cultures, Tropenmuseum, Amsterdam. TM 60032111. Acquisition de D. Kikkert. Européens. Inspirés souvent des objets vus dans les comptoirs, les marchés mais aussi dans les journaux, ils pouvaient aussi bien être des chapeaux en bois10 (fig. 24), des gobelets, des théières ou même des services complets, la réplique d’un service en porcelaine et en argent de quatre-vingt-quatre pièces exécutées en bois que J.C.W.H Cremer avait commandée à Vista et envoyée à l’Artis Etnografisch Museum d’Amsterdam11 en est un exemple.12 Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que des réflexions concernant la notion d’authenticité commencent à se développer et qu’apparaissent des mises en garde adressées aux collectionneurs d’objets comme celle que rédigea l’agent de commerce de la NAHV J. W. Regeer dans son journal de bord entre 1873 et 1882 : « Il faudra également veiller, lors de la constitution de collections ethnologiques, à ne pas être le dupe d’un imposteur rusé. Sourd au niveau de la morale, mais bien éveillé quand il s’agit de ses intérêts matériels, le nègre est toujours disposé, en négligeant la première qualité, d’investir toutes ses forces pour parvenir à la deuxième. » (Regeer 1882 : 223-224). Ce problème de l’authenticité était également soulevé dans le contexte de la chasse aux objets menée par des expéditions muséales, la demande dépassant l’offre.13 À cet égard, le chercheur hongrois Emil Torday remarquait lors de sa seconde expédition au Congo en 1905 que la production pour la vente aux Européens et autres Occidentaux était déjà une habitude bien ancrée parmi les Pende : « … Un des objets un masque est inachevé et la plupart ne présentent pas de signes d’usage, ce qui suggère qu’ils ont été faits pour un usage commercial et certainement amenés à Dima pour être vendus, ou bien qu’ils ont été commandés à un sculpteur pendé itinérant. » (Mack, 1990: 34). La population africaine ne fut pas la seule à constater cette nouvelle demande croissante d’objets ethnographiques et à chercher à en tirer profit. Si l’on en croit les dires – non contrastés – de L. J. Goddefroy, l’un des membres de la Nederlandsche Expeditie ter Zuidwestkust van Afrika (1884-1885), les Européens se seraient mis euxmêmes à produire de l’ « art africain ». Ainsi, rapportait-il après son deuxième voyage au Congo en 1888 à propos de l’art touristique de Sierra Leone : « … Il fallait vraiment se méfier, car même dans ce domaine pointu l’ethnographie, les choses se sont gâtées… Imaginez ! À Londres, il existe une grande fabrique où du matériel pour les collections géographiques et ethnologiques du monde entier est produit. Et en Sierra Leone, nous nous sommes très vite vus proposer des objets fabriqués en Angleterre pour de la véritable fabrication indigène d’Afrique ! » (Feith, 1910 : 53). Tous ces nombreux témoignages attestent de la situation sur place et fournissent des preuves de l’existence d’une production vivante d’art touristique au XIXe siècle au Congo, dont les agents commerciaux sur le terrain avaient certainement connaissance grâce aux mentions faites dans la littérature de l’époque et pour laquelle ils développèrent certainement d’autre méthodes de collecte que pour les objets ethnographiques. UN MONDE CLOS Presque jusqu’à la fin du XIXe siècle, le contact entre la population14 de la région du Bas-Congo et les commerçants européens se limitaient aux villes portuaires où les biens étaient achetés et chargés pour être expédiés en Europe. La situation changea lorsque les sociétés de commerce européennes15 établirent quelques abris permanents sous la forme de « comptoirs de commerce » le long du littoral occidental de l’Afrique centrale. Plutôt que d’expédier et de faire revenir leurs collaborateurs avec les biens d’importation et d’exportation,16 les Européens restaient à présent au Congo pour s’occuper du commerce sur place et défendre les intérêts de leur employeur (fig. 9). Les principaux produits d’exportation étaient l’huile de palme, la gomme-résine et l’ivoire. Les excès de la demande eurent des conséquences désastreuses pour l’environnement, dont la menace d’extinction de la population d’éléphants le long des côtes. Le Loango vit ainsi sa réserve d’ivoire s’amenuiser de manière drastique. À la fin du XIXe siècle, l’ivoire n’était plus disponible que dans les régions intérieures les plus reculées du pays et devait être acheminé vers la côte par le biais d’intermédiaires de commerce et de caravanes de porteurs (fig. 10). La présence d’enclaves européennes sur le sol africain permit la formation de nouveaux réseaux commerciaux et l’extension de ceux qui existaient déjà. Les comptoirs de


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