Page 124

Layout1

DOSSIER 122 sur des objets typiquement européens, comme les ronds de serviette (fig. 8) et des symboles sont apparus liés au métier de l’acheteur (comme des câbles et des ancres pour un marin) ou aux jeux que pratiquaient les Européens pour passer le temps (comme les personnages des cartes à jouer). Si l’interprétation précise des ivoires du Loango pose problème faute de sources écrites, il ne fait aucun doute qu’ils devaient répondre à des valeurs esthétiques et des idéaux précis. On s’en rend compte lorsque l’on compare leurs motifs décoratifs à ceux d’autres types d’objets créés dans la région. À titre d’exemple, l’une des principales caractéristiques des ivoires du Loango, ce sont les spirales qui divisent la défense en zones de bas en haut. Au sein de cette spirale, « l’histoire » doit se lire de bas en haut. D’après les croyances kongo, la spirale symbolise le cycle de vie et le contact entre les vivants et le domaine des ancêtres. De nombreux personnages représentés sur les défenses se retrouvent sur les sceptres de dignitaires (fig. 5), couvercles à proverbes, sculptures, etc. Accueillant la représentation d’une mère à l’enfant, ou pfemba, la défense en figure 6 en est un autre exemple éloquent. Bridges suggère à maintes reprises dans le résultat de ses recherches que les études menées sur ces dernières catégories d’objets peuvent nous éclairer dans la désignation des scènes présentes sur les défenses. Cette africaniste part du principe, probablement juste, que les motifs ont gardé une même signification malgré leur transfert sur un autre support. Enfin, soulignons que l’interprétation des motifs décoratifs des ivoires du sculpteur peut varier sensiblement par rapport à celle de l’acheteur, à qui le sens de certains détails peut échapper totalement. LES COLLECTEURS METTAIENT EN GARDE Comme nous l’avons déjà dit, les sources historiques relatives aux objets spécialement conçus pour la vente à des étrangers sont rares—Si l’on se penche, par exemple, sur la documentation se rapportant aux ivoires du Loango dans les collections muséales néerlandaises, on constate que, souvent, n’y figurent que le nom du collecteur, la date et le lieu de collecte. Aucune autre information n’a été reportée ; un problème qui, soit dit en passant, se retrouve dans toutes les collections du Loango à travers le monde. L’explication serait elle que les collecteurs souhaitaient taire le fait qu’ils proposaient de l’art touristique ? Cela me semble un premier élément de réponse plausible, bien que contradictoire avec le niveau d’information que ces mêmes collecteurs pouvaient prendre la peine de recueillir pour d’autres types d’objets. Certains témoignages d’Européens sur le terrain attestent que les artistes de cette région du Congo pouvaient réagir prestement à une demande extérieure et s’adaptaient parfaitement à la présence des Européens. Les courriers des collaborateurs de la NAHV sont riches en détails sur l’offre d’objets réalisés dans les comptoirs de commerce ou dans les villages du littoral, spécialement destinés à la vente aux FIG. 3 (À GAUCHE) : Détail de la défense en fig. 2. On y voit représenté un nganga, spécialiste des rituels kongo, avec une épée et un coquillage. FIG. 4 (EN BAS) : Défense d’éléphant coupée avec des scènes du commerce (traite d’esclaves et fourniture de produits). L. : 29,5 cm. National Museum of World Cultures, Tropenmuseum, Amsterdam. TM 229-4. Legs de la Baronne von Gotsch O.E.A.E. Wüste, 1924. FIG. 5 (CI-CONTRE) : Sceptre en bois couronné d’une figure féminine debout. L. : 98 cm. National Museum of World Cultures, Tropmenmuseum, Amsterdam. TM A-11031. Donation Artis, 1920. Ancienne collection L.S. Anema, 1884. FIG. 6 (À DROITE) : Détail de la défense en fig. 1, couronnée d’une sculpture de pfemba, ou mère à l’enfant.


Layout1
To see the actual publication please follow the link above