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DOSSIER 114 qu’elle fut la maîtresse de Rasmussen. Hansen, le photographe de l’expédition, rejoignit ce petit groupe dans la péninsule de Kent, à mi-chemin entre la baie d’Hudson et l’Alaska, le 1er novembre 1923. En cours de route, Rasmussen découvrit dix bâtiments tuniit à Malerualik sur l’île du Roi-Guillaume, à l’ouest de la zone déjà étudiée par l’expédition. Cet endroit était alors habité par les Netsilingmiut, mais les objets que Rasmussen y exhuma confirmèrent l’existence de relations étroites entre les cultures Tuniit et Thulé, ainsi que leurs liens avec l’Alaska. Le groupe de Rasmussen arriva à Point Hope sur la côte nord de l’Alaska après un périple entrepris sur toute la longueur de l’Arctique nord-américain. Là-bas, Rasmussen poursuivit son travail de documentation, durant lequel il visita une maison des esprits où il découvrit un ensemble de six masques intrigants. Après avoir négocié, il put les acquérir et les rapporta au Danemark (fig. 18 à 20). Un vieil homme du nom de Qalajaoq expliqua le contexte de création de ces masques : « Lorsqu’un chaman revenait d’un voyage au pays des esprits, il entrait dans un état de transe et parlait des choses surnaturelles qu’il avait vues, des nombreuses entités étranges qu’il avait rencontrées et des expériences qu’il avait vécues. Mais le chaman n’évoquait pas ces événements uniquement dans un état de transe. Il relatait également ses expériences lors de célébrations mystiques où les esprits eux-mêmes étaient supposés être présents. À cette fin, le chaman avait besoin de masques représentant les créatures qu’il avait rencontrées durant ses voyages spirituels. Il était aidé dans cette tâche par les sculpteurs les plus talentueux de la tribu. Avant qu’ils ne commencent à travailler le bois, le chaman leur décrivait dans les moindres détails à quoi devraient ressembler les masques, de sorte que pendant les danses et les chants exécutés, les masques puissent être présentés conformément à ce qu’il avait vécu au pays des esprits. » (Rasmussen 1934 : 369). Le 31 août 1924, Rasmussen débarqua à Nome, qui s’avérera être l’ultime arrêt de la cinquième expédition Thulé puisqu’une tentative de gagner la Sibérie échoua pour des raisons de visa. Il arriva à Nome à une période providentielle : des Eskimos issus des quatre coins de l’Alaska s’y trouvaient dans le cadre du rassemblement commercial annuel. Il y avait là le peuple de l’île du Roi, les Ukiuvangmiut ; les habitants de l’intérieur des terres de la péninsule de Seward ; les Qavjasâmiut et les Kingingmiut du cap du Prince de Galles ; les Ungalardlermiut de la baie de Norton et du delta du Yukon ; les Siorarmiut de l’île Saint-Laurent ; et enfin, les Nunivaarmiut de l’île Nunivak, dans le sud. À l’exception de ces derniers, tous ces peuples s’étaient rendus à Nome, centre du commerce du nord-ouest de l’Alaska, pour FIG. 14 : Poupée. Eskimos du Cuivre, Territoires du Nord-Ouest. Collectée en 1923-24. Cuir. H. : 31,5 cm. Musée national du Danemark, collection ethnographique, inv. P30.313 © Musée national du Danemark. toute attente, la situation devint alors périlleuse : une nuit, alors qu’il ne s’était pas encore endormi, Olsen entendit Nivietsianaq dire à son mari « La seule chose qui puisse faire disparaître la maladie de cette île est de tuer les deux étrangers – maintenant, pendant leur sommeil ! » Alors qu’il bondissait hors de son lit pour les affronter, Olsen entendit Angutimarik répondre qu’il ne souhaitait pas leur mort. À demi rassurés, Mathiassen et Olsen ne se sentirent cependant plus en sécurité sur l’île à partir de cette nuit-là (Mathiassen 1926 : 98). En février, après six mois d’immobilisation forcée, Mathiassen et Olsen purent finalement quitter l’île Southampton. Le Frozen Strait portait bien son nom – il était tellement gelé qu’ils purent rejoindre directement l’île danoise en traîneau. Dans d’autres sites près de Pond Inlet, non loin de l’extrémité nord de l’île de Baffin, Mathiassen mit au jour 2 000 autres objets, principalement des outils en os et en pierre. Parmi eux se trouvait un objet très simple mais de la plus grande importance : un grattoir sculpté dans de l’ivoire de morse dont la forme était identique à celle des grattoirs utilisés par les Eskimos d’Alaska. En comparant ces découvertes aux objets récemment exhumés du site de Naujan Lake, il ne fait aucun doute que la même communauté Tuniit avait également atteint Pond Inlet au cours de sa migration vers l’est (fig. 11 à 13). Il a depuis été prouvé scientifiquement que les Tuniit appartenaient à un groupe qui avait entamé sa migration depuis l’Alaska il y a plus de 5 000 ans, parcouru l’Arctique canadien et finalement traversé le détroit de Nares pour arriver au Groenland, où des objets issus de la même culture avaient aussi été découverts. Au Groenland, les Tuniit sont plus couramment appelés « culture Thulé ». Au printemps 1923, les membres de l’expédition se réunirent pour la dernière fois à la station « Les Soufflets » afin de prendre congé les uns des autres. Ils avaient rassemblé énormément de documents depuis le jour où le navire de l’expédition, le Søkongen (Petit mergule), avait débarqué les hommes et leur matériel sur l’île danoise un an et demi plus tôt. Après cette ultime réunion, les membres de l’expédition devaient repartir accomplir leurs dernières tâches, puis, en automne, la plupart rentreraient seuls chez eux. Rasmussen, lui, prit un autre chemin. Le 11 mars 1923, il se lança dans ce que l’on nomme aujourd’hui « Le grand voyage en traîneau » vers l’ouest le long de la côte de l’océan Arctique en traversant le Canada, direction l’Alaska. Au cours de ce voyage long de seize mois, il était accompagné uniquement de deux Groenlandais de l’expédition : Qâvigarssuaq (littéralement, « Eider commun », dont on se souvient mieux sous le nom « Miteq ») et la cousine de ce dernier, Arnarulúnguaq (« Petite femme ») dont il est dit


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