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HISTOIRE du goût 106 Queen’s à Kingston, Ontario (fig. 7 et 8).8 Ce corpus témoigne d’une approche encyclopédique, s’intéressant aussi bien aux objets d’usage – souvent modestes dans leurs prétentions –, qu’aux créations rituelles telles que les masques et incluant également des oeuvres créées dans toutes sortes de matériaux : argile, métal, bois, etc. À l’aube du XXIe siècle, d’autres donations allaient marquer la destinée des musées canadiens. L’institution la mieux logée à cet égard fut sans conteste l’AGO, et ce par les promesses de dons du promoteur immobilier Murray Frum, dont il a été question précédemment, et sa deuxième épouse Nancy Lockhart (fig. 9 et 10). Soucieux d’assurer un écrin prestigieux pour les pièces qu’ils entendaient céder à l’institution, ils s’impliquèrent dans le projet d’aménagement des salles, exigeant de l’architecte Frank O. Gehry qu’il s’inspire de la scénographie du Pavillon des sessions du musée du Louvre. Le résultat des ses travaux fut présenté à l’automne 2008 lors de la réouverture de l’AGO. Ce fut l’occasion également pour le visiteur de découvrir alors un remarquable ensemble d’objets en ivoire, legs du magnat d’un vaste empire médiatique, Monsieur Kenneth Thomson (1923-2006). Ce dernier avait développé une grande passion pour l’art et avait aiguisé son oeil sur plus de cinq décennies ; aussi possédait-il la plus grande collection particulière d’oeuvres d’art au Canada. Aussi éclectique que sublime, celle-ci comprenait de la peinture flamande, de FIG. 9 : Appuie-tête. Luba R. D. Congo, région de Shaba. Attribué au Maître de la coiffure en cascades XIXe siècle. Bois et patine d’usage. Collection Frum, Toronto. N’Diaye et Arnold Rubin, entre autres. La même année, l’Art Gallery of Ontario (AGO) invita Barbara et Murray Frum à présenter les fleurons de leur collection d’art africain. Les Frum firent appel à une vieille connaissance, l’éminent William Fagg du British Museum, afin que celui-ci assure le rôle de commissaire de l’exposition qui eut finalement lieu en 1981. African Majesty en fut le titre, en référence aux pièces jugées les plus importantes de cet ensemble éclectique, c’est-à-dire les oeuvres issues des royaumes du Grassland camerounais, une zone quelque peu négligée par les collectionneurs de l’époque malgré la force de l’art qui s’y était développé.6 Que celui considéré par de nombreux spécialistes comme l’un des plus grands africanistes du XXe siècle ait consenti à traverser l’Atlantique pour assurer le succès de ce projet constitue en soi un véritable tour de force. Témoignant de l’engagement des institutions canadiennes dans la promotion d’un regard esthétique sur les arts d’Afrique, Montréal accueille en 1989 une nouvelle exposition temporaire, Témoins de la tradition, résultant de la mise en commun d’objets du MBAM et du Musée Redpath. Toujours dans la même mouvance, en 1990, le ROM organise Into the Heart of Africa (fig. 6), une manifestation revenant sur l’origine de ses collections et cherchant notamment à valoriser les objets africains qu’avaient rapportés le révérend Walter T. Currie et les vétérans de la guerre des Boers. Cet important décalage entre le temps de la constitution de ces fonds et celui de leur revendication face au grand public pourrait s’expliquer par la prééminence accordée aux cultures d’Extrême-Orient du fait de la conviction du premier directeur du ROM, Charles Trick Currely, qui pensait que le Canada serait amené à intensifier ses échanges économiques et culturels avec l’Asie au point d’atteindre le même niveau que ceux engagés avec les pays européens. L’IMPLICATION DES COLLECTIONNEURS AUPRÈS DES INSTITUTIONS MUSÉALES CANADIENNES Résolument esthétiques tant dans la sélection des oeuvres retenues que dans leur mise en scène, les expositions temporaires dont il vient d’être question témoignèrent de ce qu’au Canada aussi,7 les arts d’Afrique étaient en train de glisser du domaine de l’anthropologie vers celui de l’histoire de l’art. Cela ne manqua pas d’encourager plusieurs collectionneurs canadiens qui consacrèrent alors de louables efforts à renforcer les collections muséales. Ce fut en l’occurrence le cas de Justin et Elisabeth Lang qui, après avoir collectionné l’art africain pendant quarante ans, décidèrent de faire don de plus de cinq cent soixante-dix oeuvres à la Agnes Etherington Art Centre de l’Université FIG. 10 (PAGE SUIVANTE) : Figure gardienne de reliquaire byeri. Fang, sousgroupe Mvaï, Gabon. XIXe siècle. Bois et patine d’usage. Collection Frum, Toronto.


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