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Charles Derby 139 T. A. M. : Il est rare de trouver un collectionneur aussi éclectique que vous. On décèle pourtant certaines spécialisations dans lesquelles vous êtes devenu expert. Pouvez-vous les définir ? Les objets perlés yoruba du Nigeria, peut-être. C. D. : Ma démarche répond à un principe fondamental : souvent, les objets ont un lien spirituel avec les personnes qui les utilisaient. Une sébile portée par un moine chinois, un panier pomo pourvu du dau (une « issue de secours » au cas où il arriverait quelque chose au panier) ou une croix sur un fétiche kongo évoquant le carrefour où le devin exécute sa cérémonie sont autant d’associations mystiques qui influencent ma décision d’acquérir un objet. Je me suis réellement intéressé aux objets perlés yoruba lorsque je me suis rendu au marché aux puces de Brimfield en 1985 environ. Cette gigantesque manifestation longue d’une semaine se déroule à 45 minutes de chez moi. Dans les années 1970 et 80, je me levais aux aurores pour être sur place très tôt. En cherchant bien, je trouvais généralement quelque chose d’inhabituel. Un jour, j’y ai acheté un collier de perles yoruba à un marchand africain. À l’époque, les ouvrages mentionnant ce genre d’objets perlés étaient rares, et il était donc difficile de trouver des informations sur ce collier. Je possédais de très nombreux objets perlés amérindiens, notamment des « allume-feu » (de petits sacs contenant le matériel nécessaire pour allumer un feu). Ils étaient en général exposés en groupes, ce qui leur conférait une dimension spectaculaire et les rendait relativement vendables. Leurs prix ont rapidement grimpé et il est devenu difficile pour moi d’en acquérir davantage. Les colliers yoruba représentaient une véritable aubaine dont je devais absolument profiter. Ils étaient tout aussi splendides que les allume-feu, relativement bon marché, ils n’étaient pas recherchés et se révélaient impressionnants une fois regroupés. J’ai en outre découvert que ces colliers étaient utilisés à des fins de divination, ce qui les rendait encore plus intrigants. Je possédais déjà quelques notions quant à la taille et à la couleur des perles utilisées par les Amérindiens avant 1925. Ces connaissances m’ont aidé à dénicher des objets perlés yoruba fabriqués durant cette période plutôt qu’à une époque plus moderne. Le collier yoruba acheté à Brimfield a été le déclencheur de mon envie de collectionner plus d’objets perlés et je possède aujourd’hui quelque trente colliers. Par la suite, j’ai ajouté des couronnes, des paires de yata (panneaux de danse perlés), des éventails et d’autres objets. Par ailleur, on m’a un jour demandé de faire un tri dans une collection d’armes africaines parce qu’un musée avait manifesté l’intérêt d’en acquérir les cinquante meilleures. Je n’avais jamais prêté attention à la ferronnerie africaine, mais après avoir passé au crible quatre cent cinquante de FIG. 7 : Masque lu bo bie. Dan, Liberia ou Côte d’Ivoire Ex-coll. Philip Budrose ; Paul Rabut ; George Harley. J’ai eu ce masque de manière détournée. Paul Rabut l’avait acheté à son ami George Harley, mais il ne me l’a jamais montré (il avait l’habitude de conserver des objets en lieu sûr puis d’attendre le bon moment pour les montrer). Lors du décès de Paul, sa famille a trouvé ce masque et l’a soumis à une vente aux enchères. J’ai assisté à cette vente, mais j’ai été quelque peu distrait lorsqu’il a été présenté et je l’ai manqué.Des années plus tard, j’ai fait la connaissance de Philip Budrose, un collectionneur passionné qui vivait au nord de Boston. C’est lui qui avait acheté le masque et il connaissait son illustre provenance. À la mort de Philip, j’ai pu l’acquérir. Peu de temps après, le spécialiste d’art dan Lou Wells m’a contacté pour me dire qu’il avait trouvé quelques-unes des étiquettes d’identification originales de Harley (acquises auprès des Rabut) et qu’il souhaitait savoir si ces étiquettes correspondaient à un quelconque masque de Harley en ma possession. Finalement, une étiquette correspondait parfaitement à mon masque. Harley avait retranscrit les informations provenant du propriétaire d’origine sur l’étiquette. L’inscription était pratiquement illisible, mais j’ai pu déchiffrer ceci : « Danseur Lu Bo Bie – avec un manta ? dans chaque main… chante “Gie Zu Li”, vient pour parler et trancher palabre concernant une femme ou une vache. » Désormais, le masque se trouve dans ma collection, accompagné des informations de Harley quant à sa fonction.


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