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ART+loi «Aucune disposition législative française n’interdit la vente d’objets provenant de la tribu hopi» Le 6 décembre 2013, le président du tribunal de grande instance de Paris siégeant en référé avait à nouveau à se prononcer sur une demande formée conjointement par la tribu hopi et l’association Survival International France, contre la vente aux enchères de masques hopi, dits katsinam. Les demanderesses espéraient ainsi voir retirer vingt-deux lots des ventes prévues les 9 et 11 décembre 2013. On se souviendra que, déjà en mai 2013, dans le cadre d’une procédure en tous points similaires, elles avaient échoué à faire retirer soixante-dix masques katsinam d’une vente organisée déjà à l’Hôtel Drouot (voir Tribal Art magazine, nº 69, automne 2013). Les mêmes protagonistes, dans une même affaire, s’opposant les mêmes arguments, pour une même solution : le maintien de la vente... N’en déplaise 154 à Paul Valéry, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Dans ce contexte, l’association Survival et plus encore la tribu hopi, qui n’a pas la personnalité juridique et ne dispose donc pas de la capacité d’agir en justice, ne pouvaient ignorer que leur procédure était vouée à un nouvel échec judiciaire. C’est donc sans surprise et à bon droit selon nous, que le juge va, d’une part, déclarer la tribu hopi irrecevable à agir et, d’autre part, rejeter les demandes de l’association Survival, tout en rappelant quelques principes élémentaires, suivant lesquels : « Aucune disposition législative française n’interdit la vente d’objets provenant de la tribu hopi », « la vente d’objets de culte n’est pas en soi interdite par la loi française », et « le propriétaire d’un bien meuble (en l’espèce, les vendeurs des masques litigieux) est présumé de bonne foi.» Totalement incapables de prouver un quelconque droit de propriété sur les masques dont elles entendaient pourtant interdire la vente, échouant à démontrer qu’ils entreraient dans le cadre de la convention de l’UNESCO, n’apportant aucune preuve d’une origine ou d’une exportation illégale, alors même que, selon le juge des référés, « il n’est pas établi que la loi américaine interdit la vente de biens provenant de tribus d’Indiens lorsqu’ils sont détenus par des personnes privées », n’étant pas plus fondées à soutenir qu’il s’agit de biens hors commerce et incessibles entrant dans la catégorie des « souvenirs de famille » ou encore des « sépultures », la tribu hopi et l’association Survival vont tenter d’en appeler une nouvelle fois au prétendu « caractère choquant et blasphématoire » de la vente litigieuse. Cette argumentation ne convaincra pas plus le magistrat pour qui : « Cette considération morale et philosophique ne donne pas à elle seule droit au juge des référés de suspendre la vente de ces masques qui n’est pas interdite en France. ». Le tribunal de grande instance de Paris consacre donc à nouveau le droit de propriété des collectionneurs face aux revendications de groupements associatifs ou communautaires qui, au nom de principes religieux ou moraux, voudraient ériger un droit absolu à la restitution et interdire toute détention, exposition ou vente d’oeuvres d’art ou de biens culturels, sur lesquels ils estiment détenir un droit légitime supérieur. Par Yves-Bernard Debie Si la rigueur des principes de droit rappelés par le juge ne peut qu’être comprise et approuvée, une question reste ouverte : mais que venaient donc faire la tribu hopi et l’association Survival dans ce second épisode de cette chronique d’une défaite annoncée ? La réponse est sans doute à chercher dans la couverture médiatique dont a bénéficié cette affaire. En effet, comme en mai de la même année, les journaux relayant presque unanimement les propos des défenseurs de la cause hopi se sont remis à parler de « vente blasphématoire », de « geste criminel » ou « d’obscénité insupportable ». Voilà bien le bénéfice escompté par la tribu hopi et l’association Survival. Pourtant, même sur le terrain de la morale religieuse où s’opposent sacré et blasphème, la croisade hopi ne peut à notre sens être suivie. Les notions de sacré et de blasphème sont tellement vastes, subjectives et changeantes, qu’un état de droit ne peut aisément, et certainement pas sans danger, les intégrer. Qui, dans le meilleur des mondes qu’appellent de leurs voeux l’association Survival, la tribu hopi et tous leurs défenseurs, jugera de la sacralité de tel ou tel objet, laquelle s’imposera ensuite à tous et notamment aux juges ? Devra-t-on consacrer une nouvelle doctrine des deux glaives par laquelle le spirituel sera à nouveau déclaré supérieur au temporel et la propriété de droit frappée d’infamie au regard du sacré ? On comprend bien qu’aucune réponse favorable, qui soit conciliable avec un état de droit, ne peut être donnée à ces questions. En revanche, le droit de propriété qu’entendaient remettre en cause la tribu hopi et l’association Survival au nom de principes religieux et moraux présentés comme supérieurs, constitue quant à lui un droit fondamental, pour ne pas dire « sacré ». Ainsi, l‘article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen classe le droit de propriété parmi les « droits naturels et imprescriptibles de l’Homme ». Droit de propriété qui est encore consacré au niveau européen par l‘article 1er du protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par le 5e amendement de la constitution des États- Unis d’Amérique. Par son ordonnance du 6 décembre 2013, le président du tribunal de grande instance de Paris a su résister à l’appel des sirènes, au chant des bien-pensants et des donneurs de leçons, pour faire, comme il convient, une juste application du droit. Épilogue Au lendemain de la vente litigieuse, la Fondation américaine Annenberg a annoncé avoir acquis vingt et un masques hopi et trois masques apache San Carlos dans le but de les donner à ces tribus amérindiennes. On relèvera donc que finalement la vente tant décriée fut une belle opportunité pour ces tribus « d’origine » d’acquérir les masques, grâce au mécénat d’une association. Dès lors, l’argent et l’énergie dépensés en de vaines procédures qui ne reposent sur aucun fondement juridique ne seraient-ils pas mieux employés à la recherche puis à l’acquisition d’objets jugés sacrés ?


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