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mon travail et que je suis devenu le photographe de son institution. J’ai pu connaître ainsi tous les acteurs majeurs du monde de l’art tribal, à Paris et ailleurs. Le premier livre que nous avons fait pour Dapper fut Art et mythologie (1988). Pour ce projet, j’ai parcouru les collections européennes : en Hollande, en Allemagne, en Suisse, au Portugal… Un vrai privilège ! Le plaisir fut d’autant plus grand qu’à l’époque, peu d’objets avaient été photographiés. Toute nouvelle publication faisait l’objet d’une véritable discussion sur les prises de vue ; on pouvait créer un style, imprimer une direction artistique, ce qui correspondait à ma formation en publicité. Maintenant cela s’est un peu perdu car l’on reprend des photos à droite et à gauche. Il y a des exceptions, certes : je pense notamment à des galeristes comme Bernard Dulon et Yann Ferrandin, à Kevin Conru, avec qui j’ai eu récemment le privilège de travailler pour Art de l’Archipel Bismarck (2013), ou encore à l’éditeur Erick Ghysels (éditions 5 Continents) pour lequel je suis en train de réaliser les photographies et, avec ma compagne Caroline Leloup, la direction artistique d’une publication pour la Fondation Baur de Genève. T. A. M. : Quel plaisir trouves-tu à photographier les arts premiers que ne te procure aucune autre forme artistique ? Car tu as également photographié des antiquités classiques ou de l’art islamique, par exemple… H. D. : En effet, j’ai eu – et j’ai toujours ! – d’autres centres d’intérêt, mais j’ai fait des arts premiers mon vrai sujet photographique. Tout y est, qu’ils soient africains, océaniens, précolombiens... Pour moi c’est l’une des expressions humaines des plus extraordinaires qui soit. La grande statuaire primitive me fait voyager, elle m’apprend tous les jours quelque chose, elle ne cesse de m’émouvoir. T. A. M. : Pourrais-tu définir ton approche : comment appréhendes-tu une pièce que tu dois photographier ? Portes-tu le même type de regard sur un objet que tu n’as pas à saisir avec ton objectif ? H. D. : Je vais tout regarder de la même façon, car mes yeux sont les miens et ils sont bleus ! Ceci dit, il est vrai que mon regard est nourri de l’image de tous les objets que j’ai déjà eus en main. Aujourd’hui, le choix de l’angle est encore plus pertinent qu’à l’époque où je commençais tout juste à comprendre et à apprendre l’art africain en le photographiant. À présent je suis davantage en mesure d’identifier ce qu’un objet a de particulier et donc ce qu’il convient de mettre en valeur dans la 138 photographie. Ce qui m’importe c’est donc cela : mettre en avant ce qui distingue un objet par rapport aux autres pièces de la même typologie que j’ai pu voir afin d’en capter petit à petit l’essentiel. Je m’attache à exprimer ce qui dans l’objet révèle l’émotion et plus encore l’âme de la pièce. T. A. M. : Comment t’y prends-tu précisément ? Avec l’éclairage peut-être… H. D. : Oui, c’est tout à fait ça. Je me sens un peu comme un dessinateur – ma première incursion dans le monde de l’art a été des cours de dessins que je débutai à l’âge de douze ans – qui, pour faire apparaître un objet, ne se servirait pas tant d’un crayon mais de la lumière. Et puis il y a aussi le choix de l’angle, qui est fondamental pour mettre en tension les lignes de l’objet. T. A. M. : N’y a-t-il pas dans cette volonté de mise en avant le risque de sublimer l’original et de s’en éloigner ? H. D. : Pas pour moi. Je conçois mon travail comme une mise en lumière : je cherche grâce à la lumière à mettre en vibration un détail, une expression, mais je ne vais pas au-delà. Je reste un artisan au service de cet art produit par un autre. Un photographe, au final, c’est comme un musicien : il interprète l’oeuvre qui a déjà été écrite. Ma partition peut être du dogon, du songye ou des îles Fidji, certes, mais je prends garde à m’y tenir. Il m’importe toujours plus que l’on dise, en regardant mon travail, que l’objet est beau plutôt que la photo est belle ! À une époque il est vrai, il fallait que nous, photographes, produisions des images un peu dramatiques, théâtrales… Mais je reste convaincu que face à un objet, il faut rester minimaliste, très sobre. Cela ne veut pas dire que je n’imprime pas à mon travail une subjectivité. Chaque séance de prise de vue m’impose des parti-pris constants. T. A. M. : Tu es certainement l’une des personnes qui a tenu en main le nombre le plus important de chefs-d’oeuvre : cela a-t-il réveillé en toi de la convoitise ? As-tu l’âme d’un collectionneur ? H. D. : Non, je ne peux pas être collectionneur. D’abord parce que cela n’est pas dans ma nature, mais aussi parce que je n’en ai pas besoin car lorsqu’un collectionneur m’amène un objet au studio, c’est comme s’il m’appartenait un temps. Cela ne veut pas dire pour autant que je n’ai pas trois ou quatre objets… PERSONNALITÉ


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