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HISTOIRE d’objet donc un souci de « beauté utilitaire » qui amena un artiste tlingit à rabattre la nageoire et la queue de l’animal marin qu’il sculptait (fig. 16). Nous pouvons imaginer un cheminement 132 esthétique identique à propos du masque de la figure 1. Qui plus est, cette adaptation des cornes du buffle à un visage humain trouve une correspondance dans d’autres expressions artistiques. En revenant à la coiffure dessinée par W. F. P. Burton (fig. 7), nous nous rendons compte que cette adaptation formelle était connue et reconnue comme l’atteste la légende originale du document : « The minkatanga head-dress, once worn by Kabongo’s headmen around lake Boya, is supposed to resemble the horns of a buffalo. » (La coiffure mikatanga portée jadis par les chefs de Kabongo, près du lac Boya, est censée évoquer les cornes d’un buffle). Le dessin de la figure 7 démontre que la coiffure du buffle n’est pas exécutée sur un large plan horizontal, mais bien structurée autour de la rondeur du visage. Tous ces différents éléments nous invitent donc à considérer comme plus vraisemblable la représentation de cornes de buffle pour le masque de la figure 1. Arrivés à ce stade de la démonstration, nous devons revenir sur un élément mentionné au début de l’article et qui semble avoir été quelque peu oublié : l’oiseau. Bien que très endommagé, l’animal peut révéler certaines informations. Premièrement, on se rend compte qu’initialement le volatile disposait de trois points d’attache (fig. 13) : deux pour les pattes et un pour le bec. Compte tenu de son emplacement entre deux protubérances évoquant des cornes, on peut supposer que notre fin gourmet s’apparente à un type d’oiseau perchant sur certains mammifères et / ou pouvant faire pitance de quelques parasites. Pour mieux identifier l’animal, nous devons ici évoquer un détail anatomique de l’oiseau qui a survécu : le long cou. Le choix effectué par le sculpteur de réaliser avec minutie un oiseau pourvu d’un fin cou serpentin, entreprise périlleuse car fragilisant l’ensemble, dans la masse du bloc de bois ayant servi à réaliser le masque montre l’importance de ce détail. Il y a donc de fortes chances que nous soyons ici en face du symbole plastique principal de la bête. Or, dans la zone géographique qui nous concerne, un candidat potentiel peut être relié aux indices laissés par la sculpture : le héron garde-boeuf (Bubulcus ibis). Le garde-boeuf se trouve souvent à proximité des grands mammifères et se nourrit au sol de diverses petites proies qu’effrayent et débusquent involontairement les pas des animaux lourds. Il peut également becqueter divers parasites (mouches, tiques) présents sur ses perchoirs animaliers, mais, à la différence du pique-boeuf,6 il est peu familier de cette pratique. Bien que l’animal puisse choisir de se sustenter aux côtés d’animaux domestiques (comme des chevaux, des vaches ou des ovins), on se rend compte que dans les zones d’Afrique centrale peu dédiées à l’élevage intensif (ce que l’on peut raisonnablement supposer être le cas pour le Katanga du XIXe siècle), l’oiseau préfère la compagnie d’animaux sauvages tels les grands bovidés. Ceci nous conduit naturellement à dire que la présence du Bubulcus ibis sur le masque apporte un crédit supplémentaire à l’hypothèse buffle. Par ailleurs, la présence d’un oiseau trônant entre deux cornes n’a pas vraiment sa place dans le domaine de la coiffure zoomorphe. Donc à moins d’évoquer un jour la légende d’un Zeuxis luba, coiffeur de surcroît, capable de tromper la nature au point de réaliser des « tresse-cornes » si réalistes qu’elles invitaient les oiseaux à se poser, on peut bel et bien soutenir que le masque de Tervuren représente une tête humaine encadrée de cornes de buffle et ayant comme compagnon un garde-boeuf. Comme nous n’avons pas abordé ici les questions touchant à la fonction même du masque, certains lecteurs peuvent, au terme de cette étude, se sentir lésés et en droit de se demander s’il fallait consacrer autant de pages pour arriver à une conclusion d’apparence simple laissant encore en suspens nombre d’interrogations. Pourtant, nous avons ici surtout voulu montrer que lorsque l’on aborde une oeuvre appartenant à un passé révolu, il importe de lire le mieux possible cette pièce avant de se livrer à des analyses plus approfondies touchant à son rôle socio-culturel et à sa stylistique. En un mot, nous nous sommes contentés ici de poser les bases de l’édifice analytique du masque de Tervuren qui sont, reconnaissons-le, faites de plumes et de cornes. Cette étude fut initialement élaborée à l’occasion des BRAFA Art Talks du 29 janvier 2014, à Bruxelles, et tenait lieu de présentation généraliste touchant à la méthodologie d’analyse d’une oeuvre africaine sur laquelle peu d’informations ethnographiques sont connues. Pour visionner l’intégralité de cette conférence organisée par la BRAFA et BIAPAL en collaboration avec ce magazine, visitez notre site : www.tribalartmagazine.com, ainsi que ceux de nos partenaires : www.brafa.be et www.biapal.be.


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