Page 126

CoverT71_FR.qxd_CoverF Vuvi

DOSSIER 124 Comme indiqué plus haut, la seconde fonction des spatules comme celles-ci serait liée à la magie. Les informateurs d’Aldridge et d’Abel Abel leur confièrent que les spatules des figures 3 à 5 avaient été utilisées comme gardiens de maison, c’est-à-dire, dans le contexte de la magie protectrice. Par ailleurs, la spatule de la figure 1 aurait également été utilisée en sorcellerie. La figure piquet faisait partie d’une paire utilisée pour fixer un filet à cochon dans le sol, mais servait aussi, une fois les paroles magiques prononcées, à attirer les cochons dans le filet. La figure sur pied observée par Cecil Abel avait appartenu autrefois à un sorcier et, par conséquent, a sans doute été utilisée à des fins de sorcellerie. D’après ces sources, certaines de ces sculptures étaient associées à la magie « blanche », au bénéfice de leurs propriétaires, et d’autres à la magie « noire » ou la sorcellerie pour nuire à autrui. Toutefois, la séparation entre magie « blanche » et « noire » est relativement floue, car la magie utilisée pour protéger le propriétaire d’une spatule est susceptible de causer du tort à une personne qui a l’intention de l’attaquer. Que représentent ces figures ? Un informateur de la vallée de Buhutu dit à Aldridge que les sculptures sur les spatules des figures 1 à 9 symbolisaient une personne capable de sorcellerie. Les informateurs de Beran dans la vallée de Buhutu et le village de Savaia sur la côte sud de l’île principale se montrèrent plus précis, affirmant que la figure ornant l’une de ces sculptures, en l’occurrence la spatule de la figure 1, représente un homme appelé Sinofo (ou Seinofo) doté de pouvoirs magiques si puissants qu’il lui était poussé de longues oreilles et un long museau. Cette idée que la possession ou l’exercice de pouvoirs magiques puisse provoquer l’agrandissement des traits du visage était répandue dans l’aire massim. Sur Kitava, dans les îles Trobriand, Geoffrey Gumaligisa raconta à Beran en 2006 que lorsqu’une femme qui en a le pouvoir envoie une part d’ellemême dans les airs, certains des traits de son visage, notamment les oreilles et la langue, grossissent.3 Ces sorcières volantes sont très redoutées dans les îles Trobriand, car elles se nourrissent des entrailles des marins échoués (Malinowski 1932 : 244-5). Deborra Battaglia (1991: 88) rapporte que sur l’île de Sabarl, dans les Louisiades, il existe des sorciers capables de faire voler leurs esprits et de les pousser au cannibalisme. Les plus redoutables « ont un aspect monstrueux, avec un museau et des oreilles énormes et une chevelure ébouriffée ». Dans une autre publication (1990: 37), elle écrit que sur cette même île, un monstre cannibale du nom de Katutubwai affiche aussi « un museau, des oreilles, des cheveux et des ongles très longs ». De même, Michael W. Young (1983: 215) raconte l’histoire d’un esprit aux traits effrayants, aux longues oreilles et aux dents énormes qui apparut à quelqu’un en rêve. En plus des oeuvres dont il est question dans cet article, il existe au moins deux autres pièces qui pourraient illustrer les croyances précédemment évoquées. Une spatule à chaux de type FIG. 10 : Figure sur un piquet utilisé pour fixer un filet dans le contexte de la chasse au cochon. Aire massim, Papouasie- Nouvelle-Guinée. Collectée par Abel Abel dans le village de Wagahuhu sur la côte nord de la province de Baie Milne. Bois. L. : 70 cm. Richard Aldridge Collection, Australie. Image © Richard Aldridge. « claquette » du British Museum (fig. 11) présente sur une face un personnage anthropomorphe avec de longues pour toute déformation et, sur l’autre côté, une figure avec une légère élongation des oreilles. La sculpture en figure 12, peut-être un fragment d’un élément d’architecture, représente un personnage avec une langue engorgée ; un trait qui distingue cette pièce des spatules à chaux sur lesquelles le museau et la langue sont clairement notés. Dans le cas des spatules qui nous occupent, c’est plutôt le visage qui est allongé alors que le museau et les oreilles sont petits et délicats (fig. 1, 2, 5 et 6). Les représentations sur les spatules des figures 3 et 9 et le personnage du piquet en figure 10 ont une petite bouche et ne montrent pas leur langue. Concernant la spatule de la figure 2, Barry Craig, conservateur en chef au South Australia Museum ayant effectué un travail de terrain intensif en Papouasie-Nouvelle-Guinée, écrit qu’elle représente un « animal, peut-être le bandicoot géant (Peroryctes broadbenti) » (2007 : 176). Lorsque la spatule de la figure 1, pratiquement identique à celle de la figure 2, fut mise en vente par Sotheby’s à Paris le 17 juin 2009, l’auteur du catalogue qualifia la figure représentée de chauve-souris.4 Bien qu’elle puisse faire penser à un bandicoot, voire à une chauve-souris, nous accordons plus de poids aux interprétations des informateurs de Beran dans l’aire massim, selon lesquelles la figure sur la spatule de la figure 1 représentait une personne dotée de pouvoirs si puissants qu’il lui était poussé de longues oreilles et un long museau. Comme mentionné plus haut, la tête de la figure sur la spatule de la figure 2 ressemble à celle d’un bandicoot géant, un marsupial très courant sur l’île principale de Nouvelle-Guinée (Van Deusen 1972 : 711-12). C’est aussi le cas des têtes des sculptures des figures 1, 5 et 10. Nous pouvons raisonnablement affirmer que les sculpteurs massim n’ont en réalité jamais vu quelqu’un dont les traits du visage étaient déformés ou gonflés en raison de pouvoirs magiques ou de sorcellerie. Dès lors, il est logique de se demander comment ces artistes ont pu doter une personne de telles caractéristiques physiques. Leur représentation d’une personne dans cet état a-t-elle pu être influencée par quelque chose qu’ils auraient vu, en l’occurrence un bandicoot à longues oreilles, avec un long museau et une petite bouche ? Même si la réponse est affirmative, il convient de tenir compte d’un autre élément : l’artiste qui façonna la sculpture massim de la figure 12 n’a visiblement éprouvé aucune difficulté à imaginer à quoi ressemblerait un visage à la bouche et à la langue fortement élargies sans recourir à une imagerie animale aussi évidente. Craig a suggéré une autre possibilité ; selon lui, quelqu’un qui maîtrise correctement la magie pourrait peut-être prendre la forme d’un bandicoot à des fins de sorcellerie (communication personnelle, 30 août 2012). Étonnamment, le dos des sculptures sur les spatules des figures 1 et 2 est façonné et décoré dans le style des manches des spatules à chaux à claquette, comme celles illustrées dans Beran


CoverT71_FR.qxd_CoverF Vuvi
To see the actual publication please follow the link above